Méthode paragraphes tout cuits

Mémoire thème prépa HEC Romain Treffel

J’ai rédigé beaucoup de dissertations.

J’ai commencé à dix-sept ans, en prépa HEC, en vue des épreuves de culture générale et d’histoire des concours. Puis je m’y suis remis quelques années plus tard, quand l’envie m’est venue d’essayer de rentrer à l’ENA. Culture générale, économie, droit public, et sciences politiques m’ont demandé de peaufiner encore bien davantage ma méthodologie.

Mais surtout, j’étais déjà passé entre-temps de l’autre côté de la barrière, en quelque sorte, en donnant à haute dose des cours particuliers, puis collectifs de philosophie et de culture générale – c’était mon job étudiant. Je préparais principalement des élèves de terminale à la dissertation de philosophie du Bac, et des candidats de prépa HEC.

Être passé immédiatement, sans transition aucune, avec pour seule légitimité mes notes aux concours, du rôle d’élève candidat à celui d’enseignant a été une expérience très enrichissante.

J’ai notamment développé une grande capacité d’empathie pédagogique : j’étais trop jeune et bien trop inexpérimenté pour être un prof qui enseigne avec un regard de prof ; j’étais donc un prof avec un regard d’élève.

Les difficultés liées à la dissertation de culture générale

Cette perspective spéciale me rendait particulièrement sensible aux difficultés que rencontraient les étudiants pour disserter :

  • ils imaginaient devoir aimer la philosophie ou la culture générale pour réussir leurs dissertations ;
  • ils pensaient nécessaire de posséder une grande quantité de connaissances ;
  • ils avaient souvent un cours très long, digressif et sans structure apparente ;
  • ils comprenaient trop mal ce cours pour être capables de le mobiliser ;
  • les matières « prioritaires » ne leur laissaient que trop peu de temps pour le digérer ;
  • ils ignoraient la méthodologie de la dissertation ;
  • leur style littéraire laissait à désirer (je préfère rester gentil).

Mon expérience des épreuves de dissertation des concours, et celle, de moins en moins légère, de prof m’ont inspiré de premières pistes de solution.

En premier lieu, je demandais à mes élèves de ne pas sacrifier la maîtrise de la méthodologie à la connaissance du cours. Ensuite, je leur recommandais de garder à l’esprit une vue globale du programme ou du thème de la matière, et d’utiliser cette structure pour sélectionner de manière stratégique et équilibrée les connaissances qu’ils avaient pour objectif d’acquérir. Enfin, je leur donnais des sujets de dissertation supplémentaires à traiter en conditions réelles ; puis je leur corrigeais leurs copies dans le détail.

Je veux croire que ces consignes ont déjà aidé beaucoup d’élèves, même si elles ne constituaient que l’ébauche de ma méthode actuelle, laquelle m’a encore demandé d’enseigner, de m’entraîner, et de mûrir pendant plusieurs années.

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Une « légende urbaine » en prépa HEC

Comme bien souvent, l’inspiration est venue de l’extérieur, d’une espèce de légende urbaine cantonnée au microcosme des classes préparatoires.

Il y a cinq ans, alors que je continuais d’enseigner à des élèves de prépa HEC la méthodologie de la dissertation de culture générale pendant que je préparais moi-même le concours de l’ENA, l’un d’entre eux m’a raconté qu’un de ses amis, préparationnaire dans un lycée prestigieux, suivait une méthode particulière : il sélectionnait dans un manuel les passages qu’il trouvait bien écrits ; il les apprenait par cœur, puis il les recrachait intégralement dans ses paragraphes de dissertation. À le croire, cela produisait un certain effet sur le correcteur, qui n’y voyait de surcroît que du feu.

J’étais plutôt sceptique, donc je me renseignais.

Effectivement, cette méthode existait bien, et elle était même assez répandue, tolérée, voire encouragée dans plusieurs grandes prépas parisiennes (dont je tairai le nom). J’ai même appris que certaines allaient jusqu’à fournir à leurs élèves quelques dissertations types toutes faites qu’ils n’auraient plus qu’à reproduire, plus ou moins fidèlement, lors de l’épreuve.

J’ai compris que ces méthodes en apparence douteuses sont en réalité possibles parce que l’épreuve de dissertation est soumise à un thème relativement restreint en classe préparatoire. En effet, une quantité limitée d’idées et de références peuvent être cataloguées au sein de ce thème, et ainsi fournir matière à à peu près n’importe quel plan argumentatif.

Mes doutes se dissipant, je réfléchissais alors dans un autre sens : je me demandais comment m’inspirer de ces méthodes hétérodoxes. Si je n’avais pas la garantie, autrement que par ouï-dire, qu’elles puissent fonctionner, j’y voyais tout de même l’opportunité de contourner une bonne partie des éternels obstacles auxquels se heurtaient mes élèves.

Une dissertation est une somme de paragraphes

Ainsi, les deux années suivantes, j’ai commencé à incorporer dans ma méthode l’idée de s’appuyer sur des passages prérédigés pour rédiger la dissertation de culture générale. Comme je n’étais pas assez sûr de moi, et que je craignais que ces passages ne conviennent pas toujours à un sujet précis, je les présentais plutôt aux étudiants comme des bouées de secours. Puis nous nous sommes rendus compte, eux et moi, que les bouées de secours étaient tout de même bien pratiques, qu’elles leur ôtaient un poids, et qu’en les multipliant, elles pouvaient bien garnir une dissertation entière à elles seules.

Les passages se faisaient également de plus en plus longs, jusqu’à atteindre la taille et la structure d’un paragraphe « moyen » de dissertation.

J’écris « moyen », mais je n’ai pas fait les choses au doigt mouillé : j’ai compté les mots d’une dizaine de dissertations de culture générale notées entre 17 et 20 au concours de HEC, et il en est ressorti qu’un paragraphe de ces excellentes copies comptait en moyenne entre 200 et 220 mots.

Le paragraphe « tout cuit » était né.

La méthodologie du « tout cuit »

Dans le détail, un paragraphe « tout cuit » commence toujours par un argument très général (en gras) afin qu’il soit adaptable à un maximum d’étapes argumentatives. Il est écrit dans un style limpide qui privilégie la progression logique du propos à la virtuosité du verbe. Enfin, la référence n’est jamais introduite dans les premières phrases pour bien montrer qu’elle n’est pas l’enjeu prioritaire du paragraphe, mais qu’elle a uniquement vocation à étayer l’argument.

Voici un paragraphe sur le thème des prépas HEC de 2017, « la parole » :

La parole écrite peut apparaître comme le moyen de transcender la subjectivité. Écrire rendrait possible de sortir de soi-même et de sa perspective étriquée, car forcément individuelle, d’interprétation du réel. Le talent littéraire, plus précisément, opérerait le passage de la subjectivité du sujet à la (relative) objectivité de l’artiste authentique en quête de la seule vérité, et il restituerait par-là le point de vue de l’universel. L’écriture est ainsi pour Marcel Proust un acte qui transcende la subjectivité vers la vérité (Contre Sainte-Beuve). Comme « les faits ne pénètrent pas dans le monde de nos croyances » (À la recherche du temps perdu), il est nécessaire de les retrouver en s’évadant de la subjectivité, dans la solitude, par l’introspection. L’écrivain estime ainsi, à l’instar de Rousseau, que l’homme n’est pas lui-même lorsqu’il est dans la fréquentation de ses semblables, qu’il n’a alors pas accès à son essence, à son moi véritable. C’est donc la vocation du romancier que de se mettre dans les conditions d’accéder à la vérité de lui-même, afin de la reconstituer par la forme romanesque. Il doit s’abandonner à une pure contemplation digne de l’ascèse religieuse. Les expériences de vie, c’est-à-dire le vécu, constituent certes le matériau du roman, mais c’est la parole écrite, et notamment le style littéraire, qui transmute cette matière vile (le vécu brut dans sa banalité) en une œuvre d’art possédant une résonance universelle.

Paragraphe extrait du manuel 50 paragraphes tout cuits (sur la parole)

Deux années entières de cours particuliers et collectifs en prépa HEC m’ont donc été nécessaires pour faire passer la technique des paragraphes « tout cuits » du statut d’astuce risquée à celui de méthode à part entière.

J’ai donc décidé, il y a trois ans, de la proposer systématiquement à mes nouveaux élèves en mettant l’accent sur ses nombreux avantages :

  • un long cours classique, avec tous ses écueils, devient presque inutile ;
  • le travail est directement aligné sur la méthodologie de la dissertation et focalisé sur la seule réussite de l’exercice jugé au concours ;
  • la production des paragraphes améliore très efficacement le style ;
  • la méthode a des externalités positives sur les autres matières littéraires (notamment le style et l’argumentation) ;
  • elle permet d’économiser du temps pour les matières prioritaires (les mathématiques, la géopolitique et l’économie).

Une grande majorité ont suivi ma recommandation, et plusieurs ont eu de belles surprises.

De mon côté, cette année de cours quasi intégralement dédiée à la méthode des paragraphes « tout cuits » (qui n’en avait pas encore le nom) m’avait permis d’en prendre la pleine mesure. J’en avais notamment conclu qu’en dépit des synergies qu’elle entraînait, la préparation des paragraphes était probablement trop chronophage, ce à quoi s’ajoutait la nécessité que j’accompagne l’élève pour garantir l’efficacité du style.

Cette limite m’a conforté dans l’idée que j’avais eue au cours de l’année pour diffuser plus largement ma méthode : en faire un manuel.

Un nouveau manuel de dissertation en prépa HEC

En 2016 a donc été publiée la première édition des 50 paragraphes tout cuits sur le thème annuel des prépas HEC, la parole.

50 paragraphes tout cuits sur la parole

Cet accouchement n’a pas été sans douleur, car la philosophie même de la méthode rendait évidemment impossible de jouer le jeu des éditeurs traditionnels, à savoir pondre un manuel dans l’extrême urgence en comptant sur l’autorité intellectuelle des auteurs pour édulcorer le bâclage.

Non, le concept du « tout cuit » crée une responsabilité incompatible avec cette négligence (et c’est tant mieux).

En pratique, produire une cinquantaine de paragraphes prérédigés de qualité demande de cartographier de manière exhaustive et efficace le thème ; de le subdiviser en sous-thèmes, eux-mêmes à subdiviser en idées et en références ; de se documenter sur chaque référence ; de rédiger chaque paragraphe en soignant sa cohérence, sa progression logique, et tout particulièrement la clarté de son style, laquelle demande une attention pour chaque mot ; de relire le tout plusieurs fois avec la même minutie. Grâce à une petite équipe de rédacteurs et de relecteurs, tout ceci a pu être effectué en un mois et demi.

Ces efforts ont été couronnés de succès.

Dès cette première année, en effet, le livre s’est placé parmi les meilleures ventes de manuels sur le thème annuel de culture générale de prépa HEC, arrivant même régulièrement en tête de la catégorie « Écoles de commerce » sur Amazon.

Mais il a surtout gagné une certaine réputation auprès des élèves eux-mêmes, comme en témoignent les retours enthousiastes que j’ai reçus par message :

50 paragraphes tout cuits témoignage 1

 

50 paragraphes tout cuits témoignage 2

Enfin, comme je l’avais anticipé, les craintes que certains d’entre eux avaient manifestées se sont révélées infondées.

Les faux risques de la méthodologie des paragraphes

Non, les correcteurs n’ont pas été confrontés à des multitudes de clones d’une seule et même copie ; ils ont seulement pu déplorer parfois, comme chaque année, le par cœur et l’absence de réflexion.

Je savais déjà qu’il n’y avait pas eu de problème les années précédentes, alors que des manuels largement diffusés servaient déjà de mines à passages « tout cuits ».

Mais surtout, je partais simplement du principe que ma méthode n’était pas, malgré sa grande efficacité, immunisée contre les phénomènes universels qui plombent les autres méthodes.

Tout d’abord, la dissertation est une forme d’artisanat intellectuel qui, en tant que tel, ne peut se dispenser d’une certaine dose d’effort, quel que soit l’outil. Il était donc à prévoir que la technique des paragraphes « tout cuits » ne ferait pas disparaître les inégalités de volonté et de travail qui existent entre les candidats – tout au plus pourrait-elle réduire l’investissement nécessaire à la dissertation de culture générale.

Ainsi 50 paragraphes tout cuits devait-il connaître le destin de tout manuel : on peut estimer au doigt mouillé qu’un tiers des élèves qui le commandent ne l’ouvrent même pas ; qu’un autre tiers s’en servent mal, par exemple en se contentant d’apprendre les paragraphes par cœur ; et que seul le troisième tiers – une proportion en réalité probablement plus réduite – l’utilisent conformément à la méthode.

Ensuite, en admettant que des copies de deux candidats de ce troisième groupe se retrouvent dans le même paquet, quelle est la probabilité, sachant qu’ils disposent en tout, en comptant le manuel et le contenu disponible sur le site, de 60 à 100 paragraphes « tout cuits », qu’ils recourent au même paragraphe, au même endroit dans une dissertation de 9 paragraphes ? Pour 60 paragraphes, elle est en théorie de 13%, et encore ce chiffre ne prend-il pas en compte la nécessité que les deux candidats appartiennent au même groupe.

La meilleure cuisson en vue de la dissertation

Si le risque théorique du flagrant délit n’est certes pas nul, les préconisations que je donne dans la préface du manuel le font finalement tendre vers zéro.

Je les rappelle brièvement.

L’élève doit tout d’abord sélectionner, je dirais entre trente et cinquante paragraphes, selon son propre goût et sa capacité de mémorisation, en faisant bien attention, toutefois, à conserver l’équilibre des sous-thèmes (tel qu’estimé par le manuel).

Je lui conseille ensuite de les « customiser », c’est-à-dire de les reprendre, de les réécrire en fonction de sa compréhension et de son propre style.

Une fois son stock constitué, il lui faut, étape aussi pénible qu’inévitable, apprendre les paragraphes de manière à en connaître par cœur la liste pour pouvoir s’y mouvoir efficacement, et à être capable de mobiliser immédiatement n’importe lequel d’entre eux.

Enfin, étape cruciale souvent négligée, il est nécessaire de s’entraîner à mobiliser les paragraphes ! En clair, il faut s’exercer à traiter avec méthodologie un maximum de sujets, en allant jusqu’à sélectionner les paragraphes et à les adapter, en les reformulant plus ou moins, dans le corps de la dissertation.

Si ces consignes sont respectées, alors l’apport de la méthode des paragraphes « tout cuits » peut être considérable – et les candidats le savent.

Pour sa deuxième édition, le manuel 50 paragraphes tout cuits connaît une diffusion largement supérieure à la première.

50 paragraphes tout cuits sur le corps

Resté en têtes des ventes de la catégorie « Écoles de commerce » sur Amazon de manière quasi ininterrompue pendant un mois et demi depuis sa sortie, il acquiert surtout une popularité croissante auprès des élèves, dont certains m’écrivent même spontanément pour me dire combien il les aide.

50 paragraphes tout cuits témoignage 3

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Ces messages de remerciement m’ont fait d’autant plus plaisir que je craignais au contraire, lors du lancement de la première édition du manuel, qu’il soit la cible d’une réprobation morale.

Le paradoxe d’une méthodologie pragmatique

J’imaginais que le manuel pourrait être condamné comme étant contraire à l’esprit de la matière. En effet, la culture générale a vocation à développer la grille d’interprétation du monde et la capacité de réflexion de l’étudiant, et de prime abord, la méthode des paragraphes « tout cuits » va contre cet objectif.

Peut-être, mais cette critique ne reflète pas le véritable intérêt de l’élève.

Combien louable, la finalité humaniste qui la sous-tend est coupée de la réalité pratique des concours, lesquels ne récompensent pas les candidats les plus cultivés ou les plus matures intellectuellement, mais les plus scolaires. Ils constituent de fait une industrie où les qualités liées à l’esprit de la matière ne peuvent pas être réellement mesurées (si tant est qu’elles puissent l’être dans l’absolu). Ainsi, dit précisément, la méthode des paragraphes « tout cuits » permet à un candidat de se préparer de manière suprêmement pragmatique aux concours, avec pour seule et unique boussole ses notes finales en dissertation.

Il est cependant une magie inattendue, ai-je constaté, à ce sec pragmatisme.

Une fois que la priorité des priorités – être prêt pour les concours – est assurée, les élèves tendent à s’intéresser aux idées des paragraphes pour elles-mêmes, car elles sont rendues très accessibles par le format. Il semble donc in fine que les paragraphes « tout cuits » travaillent paradoxalement pour l’idéal humaniste qu’ils pourraient être accusés de mépriser, quand la seule chose que réussissent à faire les supports traditionnels, c’est braquer les élèves contre l’esprit de la matière qu’ils brandissent.

Sur un plan plus général, ce paradoxe m’inspire un certain optimisme : j’ai l’impression que l’obsession de la productivité qui se répand avec logique de la rationalisation et de l’optimisation technique du monde – dans laquelle s’inscrit, à son très modeste niveau, ma méthode des paragraphes « tout cuits » – j’ai l’impression que cette obsession n’est peut-être pas incompatible, tout compte fait, avec le perfectionnement moral de l’individu.

Peut-être est-elle au contraire un détour bienvenu.

Romain Treffel