Prépa HEC héritage de la pensée grecque et latine

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L’intitulé du premier chapitre du programme de culture générale de la première année de prépa HEC, « L’héritage de la pensée grecque et latine », présente trois biais :

1° la notion d’« héritage », défini comme un patrimoine laissé par une personne à son décès et recueilli par voie de succession (CNRTL), demande de se focaliser sur ce qui a été transmis, sur les héritiers, ainsi que sur la manière dont cet héritage leur a été transmis ;

2° le mot « pensée » – laquelle peut être définie comme la vie de l’esprit, ou la vie intellectuelle – impose un biais intellectuel, car il implique de privilégier la vie des idées – telle qu’elle se retrouve notamment dans la philosophie, les sciences, les conceptions politiques, l’art, l’histoire, la religion, etc. – aux dépens de considérations moins théoriques, qui ont pourtant leur importance pour comprendre la période. La frontière entre la pensée et ce qui n’en relève pas n’est cependant pas d’une suprême netteté, de telle sorte que des excursions en dehors du champ strict de la pensée seront commises quand elles sont nécessaires ;

3° l’addition des adjectifs « grecque » ET « latine » requiert de mêler les héritages des Antiquités grecque et latine.

Ce troisième biais mérite un petit développement : quelle est la pertinence de cette synthèse, « la pensée grecque et latine » ?

C’est bien évidemment par commodité que l’on parle d’une « pensée grecque et latine », dans la mesure où les Antiquités grecque et latine constituent les deux sources majeures de la civilisation occidentale, à tel point qu’on les désigne parfois, à l’égard de l’Europe, comme une « culture secondaire ». On doit tout particulièrement cette synthèse à l’humanisme de la Renaissance (XVe-XVIe siècles), le mouvement de pensée européen qui a initié un retour aux textes antiques pour revivifier la culture et la production artistique. Ensuite, les classiques du XVIIe siècle appelleront les auteurs antiques « les Anciens » (par opposition aux « Modernes »).

Dans le détail, la philosophie occidentale, par exemple, doit beaucoup aux Grecs, dont elle s’efforce souvent de poursuivre la réflexion sur les grandes problématiques. Les systèmes politiques, l’art et la rhétorique reposent également en bonne partie sur les conceptions des Antiquités grecque et latine. Enfin, les représentations mythologiques des Anciens ont durablement influencé l’imaginaire occidental.

L’idée d’une « pensée grecque et latine » présente cependant des limites.

Tout d’abord, la Grèce antique n’est pas la seule influence de la Rome antique, laquelle s’est par exemple beaucoup inspirée des Étrusques (VIIIe-IIIe siècles av. J.-C., nord-ouest de l’Italie) dans divers domaines (art, architecture, etc.). En fait, les Romains se sont surtout imprégnés de la pensée grecque après la troisième et dernière guerre punique (Rome contre Carthage, 149-146 av. J.-C.).

De surcroît, les profils civilisationnels de la Grèce et de la Rome antiques paraissent bien différents : la première est une civilisation maritime démocratique, tandis que la seconde est une civilisation terrienne, rustique, et républicaine.

Enfin, si ces civilisations sont commodément conçues comme la racine fondamentale de la civilisation occidentale, elles ne sont pas pour autant l’instant zéro de la culture ; elles ont au contraire elles-mêmes hérité d’autres cultures antérieures, comme celle de l’Égypte, où beaucoup de Grecs anciens (notamment les philosophes) avaient voyagé.

Ainsi, il n’existe pas d’unicité de « la pensée grecque et latine » – ce sont d’ailleurs plutôt les Romains qui ont transmis l’héritage de la Grèce antique.

En conclusion, l’intitulé de ce chapitre de culture générale de la première année de prépa HEC demande d’étudier le patrimoine, principalement intellectuel, des Antiquités grecque et latine en Occident.

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Rappels historiques

LA GRÈCE ANTIQUE :

Schématiquement, l’histoire de la Grèce antique peut être divisée en deux : la Grèce dite « ancienne », grosso modo du XXe au VIe siècle av. J.-C. ; puis la Grèce dite « classique », aux Ve et IVe siècles.

Les premiers hommes de la Grèce ancienne seraient progressivement venus par mer d’Anatolie (ouest de la Turquie), d’où ils auraient amené des techniques agricoles, métallurgiques, et commerciales.

La première civilisation est la civilisation crétoise (XXe-XVIe siècles av. J.-C.), sur laquelle a notamment régné Minos, célèbre pour son implication dans la légende du Minotaure. Il s’agissait donc une monarchie très centralisée autour de la personne du roi, avec une hiérarchie administrative, même si les hommes y étaient libres.

La suivante est la civilisation mycénienne (du nom de Mycènes, cité du sud de la Grèce, XVIe-XIIe siècles av. J.-C.), constituée par une vague d’immigration venue d’Asie, avec notamment un peuple d’agriculteurs, les Achéens. S’ensuivent, jusqu’au IXe siècle, les âges dits « obscurs », dus à l’attaque des Doriens, qui seraient issus des régions montagneuses du nord et du nord-est de la Grèce.

Enfin, la Grèce ancienne se termine par une époque dite « archaïque » (VIIe-VIe siècles av. J.-C.), caractérisée par une explosion démographique et une intensification de la colonisation qui nourrissent une grande instabilité politique, favorable aux tyrans.

Si courte soit-elle (environ 150 ans), la période de la Grèce classique est la plus brillante de la civilisation grecque. Elle est tout particulièrement celle de la fameuse démocratie athénienne, un système inédit mis en place peu après la chute des tyrans en 510 av. J.-C., par les réformes fondatrices de Clisthène (-508), qui substituent notamment une répartition territoriale du pouvoir aux anciennes structures claniques basées sur la richesse, permettant ainsi au peuple d’accéder aux fonctions politiques. Elle prend fin en 323 av. J.-C. avec la mort d’Alexandre le Grand, et ouvre la période dite « hellénistique », caractérisée par la diffusion spectaculaire de la langue (le grec ancien) et de la culture grecques – quoiqu’elle soit souvent conçue comme une forme de transition, voire de déclin vers la domination romaine.

Prépa HEC héritage de la pensée grecque et latine frise Grèce antique

LA ROME ANTIQUE :

La fondation de Rome est l’objet de la légende de Romulus et Rémus. D’ascendance divine, les deux jumeaux auraient été abandonnés à leur naissance ; ils auraient survécu en étant recueillis par une louve (en réalité une prostituée dans certaines versions…). Voulant bâtir Rome à l’endroit de leur abandon, ils étaient cependant en désaccord sur le lieu précis ; ils voulurent d’abord trancher la mésentente par des présages ; mais ils en vinrent finalement aux mains.

Romulus tua Rémus, si bien qu’il eut le privilège de fonder la ville (d’où le nom « Rome ») vers 753 av. J.-C. Pour la peupler, il alla, avec ses compagnons, enlever les femmes d’un peuple voisin, les Sabins : c’est le fameux épisode de l’enlèvement des Sabines. Les recherches archéologiques confirment la présence d’une population sur les lieux au VIIIe siècle av. J.-C., mais elles indiquent que la taille de la communauté serait celle de petits villages plutôt que d’une véritable ville.

Prépa HEC héritage de la pensée grecque et latine Romulus Rémus louve

La Rome antique a ensuite connu trois grandes périodes : 1° la royauté (de -753 à -509) ; 2° la République (de -509 à -27) ; et 3° l’Empire (de -27 à 476).

Au cours des premiers siècles de son existence, la cité a été dirigée par des rois. Après le fondateur Romulus, les premiers monarques furent des personnages légendaires d’origine sabine (le peuple dans lequel Romulus était allé puiser des femmes) ; les suivants étaient des rois étrangers d’origine étrusque.

Les principales caractéristiques de la société romaine ont émergé au cours de cette période : une religion polythéiste tolérante (à laquelle Voltaire fera référence pour critiquer les querelles religieuses) ; la bipartition de la société entre, d’un côté, l’élite minoritaire des patriciens, et de l’autre, les plébéiens (du latin plebs, « le peuple ») ; son organisation politique en fonction de la naissance et de la richesse (à partir de la réforme servienne de Servius Tullius, le sixième roi de Rome). La royauté étrusque aurait pris fin à cause de défaites militaires et des abus de pouvoir du dernier roi, Tarquin le Superbe, renversé en 509 av. J.-C.

Le Sénat et les magistrats récupèrent le pouvoir, et la cité entre dans une confédération, la Ligue latine, pour résister aux multiples agressions extérieures. Les premières institutions républicaines sont oligarchiques et accroissent les inégalités, de telle sorte que le peuple, endetté, se révolte (cf. la première sécession de la plèbe en 495 av. J.-C., prétendument résolue par le fameux apologue des membres et de l’estomac). Par conséquent, la République romaine évolue dans un sens plus égalitaire, avec une meilleure représentation de la plèbe.

Comme Shakespeare avant eux, les tragédiens de l’époque classique ont traité d’épisodes puisés dans l’histoire romaine, comme Corneille avec Horace, ou La Clémence d’Auguste ; ou Racine avec Britannicus, Bérénice, ou Mithridate. Au siècle des Lumières, Montesquieu a beaucoup réfléchi à l’histoire politique romaine, et il a conclu à l’importance cruciale de la vertu civique dans un système démocratique.

Sur le plan territorial, Rome étend progressivement son emprise sur le bassin méditerranéen et l’Europe occidentale : elle « romanise » ses conquêtes par la langue (le latin) et en imposant son système juridique (le droit romain).

En 27 av. J.-C., Octave, le fils adoptif de Jules César, profite de l’instabilité politique et des guerres civiles pour devenir le premier empereur romain (le Sénat lui donne le titre d’Auguste). Les institutions républicaines sont maintenues en apparence, mais progressivement vidées de leur pouvoir réel, transféré à l’empereur, qui concentre tous les pouvoirs et contrôle tout. À sa mort, il est élevé au rang de dieu et on lui voue un culte. Les complots et les assassinats rendent cependant les successions difficiles.

Les deux premiers siècles correspondent à l’apogée impérial ; puis les incursions brutales de peuples étrangers et le chaos des luttes de pouvoir causent le déclin de Rome. Le christianisme apparaît et se développe jusqu’à devenir la religion officielle de l’Empire en 313 (par l’édit de Milan). Au IVe siècle, l’Empire est partagé en un Empire romain d’Occident et un Empire romain d’Orient. On date la chute finale de Rome à l’abdication du dernier empereur romain d’Occident en 476.

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine frise Rome antique

Les histoires de la Grèce et de la Rome antiques ne sont pas au programme de culture générale de la première année de prépa HEC, mais il est nécessaire de pouvoir s’y repérer afin de comprendre pleinement le chapitre « L’héritage de la pensée grecque et latine ».

L’héritage purement intellectuel

Le mot « philosophie » a une étymologie grecque : il provient du grec ancien philosophia, composé à partir du verbe philein, « aimer », et du nom sophia, « la sagesse ». La philosophie désignerait donc étymologiquement l’amour de la sagesse.

L’HÉRITAGE PHILOSOPHIQUE

Les présocratiques

Les présocratiques sont les penseurs de la Grèce antique à l’origine de la philosophie occidentale, disséminés autour du bassin oriental de la Méditerranée, et dont l’activité s’étale (dans la version large) du VIIe au IVe siècle av. J.-C., certains ayant été en réalité contemporains de Socrate. La plupart de leurs écrits ont disparu – il n’en reste plus que des fragments repris par leurs successeurs – si bien que les principaux philosophes présocratiques sont devenus des figures légendaires.

Sur le plan des idées, on considère qu’ils ont émancipé la réflexion philosophique de l’autorité de la tradition et permis la transition du mythe à la raison (logos, au sens du discours rationnel). En effet, leurs théories étaient caractérisées par une nouvelle exigence de rationalité : les arguments s’y enchaînaient logiquement et formaient un propos cohérent dans sa globalité. Les présocratiques s’adonnaient principalement à la philosophie de la nature (phusis) – ils cherchaient à expliquer le monde physique – mais ils étaient des hommes de savoir universel, tantôt savants, tantôt poètes, ou théologiens.

S’il ne fallait en retenir que trois, on pourrait choisir Thalès, Pythagore, et Héraclite.

Bien connu des collégiens pour son fameux théorème sur les triangles semblables, Thalès de Milet (sud-ouest de la Turquie) a rompu avec la tradition en faisant de l’eau l’élément primordial de la nature (ce qui n’est pas si faux) – soit une théorie qui ne constitue pas une vision religieuse du monde. Il était également un des sept sages de la Grèce antique, sa devise étant de ne jamais se porter caution.

Mathématicien également bien connu des collégiens, Pythagore (de Samos, une île grecque au large de la Turquie) aurait inventé, selon la légende, le terme « philosophie » en partant du principe que l’homme peut seulement s’efforcer de tendre vers la sagesse, parce qu’elle est l’apanage de la divinité. Sa doctrine, le pythagorisme, a théorisé en particulier l’essence mathématique de la réalité (tout serait nombre) et la transmigration des âmes (ou métempsycose).

Enfin, Héraclite (d’Éphèse, sur la côte ouest de la Turquie) affirmait que tout est perpétuellement en devenir, à l’image de l’eau qui coule dans le fleuve (« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », aurait-il dit). Dans sa théorie, le mouvement de la réalité est plus précisément mû par le jeu des contraires – c’est pourquoi Hegel considérera Héraclite comme le père de la dialectique.

On aurait aussi pu évoquer Parménide, qui affirmait, lui, l’existence d’un Être unique ; Zénon d’Élée, qui a laissé une série de paradoxes fameux ; ou encore Empédocle, resté à la postérité notamment pour s’être suicidé en se jetant dans l’Etna (selon la légende).

L’héritage des présocratiques est conséquent. Ils ont tout d’abord fortement influencé Socrate (de son propre aveu), qui est communément pris pour l’épicentre des spéculations de la Grèce antique par l’histoire de la philosophie. Leur influence a même perduré jusqu’à la pensée moderne – notamment par le biais de commentaires – tant philosophiques (Hegel, Nietzsche, Heidegger, Bachelard) que littéraires (les poètes Hölderlin, Valéry, et Char par exemple).

Socrate – Platon – Aristote

S’il n’a rien écrit (comme Bouddha et plus tard Jésus), Socrate (-470, -399) est pourtant considéré comme le père de la philosophie moderne en raison de la place que lui a accordée Platon, son disciple, dans ses dialogues. Son importance théorique est justifiée par le fait qu’il a recentré la réflexion, après les présocratiques, sur l’homme.

Le champ de la spéculation est donc rétréci : la capacité humaine à la connaissance est très limitée (« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. », aurait-il dit), de telle sorte que la philosophie se réduit à des questions pratiques (comme l’éthique, ou la politique), tandis que l’effort d’élucidation des mécanismes de l’univers (kosmos) serait vain (pas de cosmologie socratique).

En pratique, Socrate voulait faire accoucher les esprits par la maïeutique : il interrogeait les passants avec une fausse naïveté – comme s’il ne savait vraiment rien – afin de les placer face à leurs préjugés. Il n’a pas dû se faire que des amis de la sorte, car ses controverses lui ont valu un procès, à l’issue duquel il a été condamné à boire la ciguë.

Son disciple Platon (-428, -348) a la particularité de ne quasiment jamais avoir écrit en son nom propre, mais d’avoir mis sa pensée dans la bouche des différents interlocuteurs de ses dialogues – tout particulièrement Socrate. Alors que, jeune aristocrate, il se destine à la dramaturgie, la fréquentation de son maître l’en détourne, et sa condamnation à mort sera un traumatisme. Il fondera son école, l’Académie, au nord-ouest d’Athènes, près des jardins dédiés au héros Académos. Son importance dans l’héritage de la pensée grecque et latine est telle que le philosophe britannique Whitehead (XIX-XXe siècles) dira que « la philosophie occidentale n’est qu’une suite de notes de bas de page aux dialogues de Platon ».

Sur le plan métaphysique, il a notamment avancé que la vérité réside dans des essences intelligibles éternelles de la réalité, les idées, auxquelles les apparences empêchent l’accès – comme le symbolise la fameuse allégorie platonicienne de la caverne.

Sur le plan politique, Platon a mis en évidence la dangerosité de la démocratie, si bien qu’il a imaginé un régime idéal, une république dirigée par les philosophes et dont l’harmonie repose  (théoriquement) sur la répartition des citoyens en trois classes, les gouvernants, les guerriers, et les producteurs. Il a échoué à mettre en pratique ses idées lorsqu’il a conseillé le tyran de Syracuse (sud-est de la Sicile) Denys le Jeune, qui l’a finalement soupçonné de complot.

À l’Académie, Aristote (-384, -322) se fait remarquer par Platon pour sa vive intelligence, mais il conserve son indépendance d’esprit malgré les louanges (« ami de Platon, mais encore plus de la vérité »). Il a été le précepteur d’Alexandre le Grand et a fondé sa propre école, le Lycée, surnommé aussi « école péripatéticienne » parce qu’on y philosophait en marchant (le nom « péripatéticienne » désigne une prostituée qui accoste ses prospects dans la rue).

Il était un peu le Jacques Attali de l’Antiquité grecque, dans le sens où il s’est frotté à la plupart des disciplines intellectuelles de son époque, y compris des sciences dites aujourd’hui « dures » comme la physique ou la biologie, et même à l’économie. Il a donc plutôt fait évoluer la philosophie dans le sens inverse de Socrate, en relégitimant l’érudition.

Il divisait la science en trois : la science spéculative, ou théorie pure ; la science pratique, constituée de la politique et de l’éthique ; et la science productive, équivalente à la technique. Il affirmait que la nature est animée par un mouvement autonome, ce dont il déduit l’existence d’un premier moteur qui aurait mis le monde en mouvement.

Sur le plan politique, il considérait que la cité émerge naturellement parce que l’homme est un « animal politique ».

Tombée dans l’oubli pendant plusieurs siècles, l’œuvre d’Aristote est revenue au premier plan dans l’héritage de la pensée grecque et latine à partir de la fin de l’Empire romain, notamment à travers la théologie de Thomas d’Aquin.

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine Aristote

Les grands courants de l’époque hellénistique

On peut retenir comme principaux courants de l’époque hellénistique (-323, -30) le cynisme, le scepticisme, l’épicurisme, et le stoïcisme.

Le cynisme (du grec kuon qui veut dire « chien ») a été fondé par Antisthène à Athènes au début du IVe siècle av. J.-C., mais le courant fait partie de l’héritage de la pensée grecque et latine grâce aux frasques de son disciple, le fameux Diogène le cynique. Celui-ci se faisait en effet remarquer par sa profonde indifférence aux conventions sociales ainsi qu’aux attributs du pouvoir. Vivant dans un tonneau (un peu comme un chien dans sa niche), Diogène multipliait les provocations pour démasquer toutes les illusions, dont notamment les croyances religieuses. Son attitude morale et sa mendicité le rendaient suprêmement indépendant. Le cynisme désigne aujourd’hui un comportement précis qui témoigne d’un mépris hypocrite, ou désabusé, des conventions sociales et des idées reçues.

Le scepticisme (du grec ancien skeptikos, « qui examine ») commence avec Pyrrhon (-360, -275), même s’il n’a rien écrit ni véritablement théorisé. Si on sait peu de choses de lui, on imagine que son relativisme pourrait s’expliquer par sa participation à l’expédition d’Alexandre en Inde, où il aurait été impressionné par des ascètes indiens. Le scepticisme se caractérise globalement par l’indifférence, tant à l’égard des événements qu’à l’égard de la connaissance. Comme la raison humaine est bien incapable de connaître quoi que ce soit, il est préférable de suspendre son jugement et de conserver sa tranquillité d’âme. Passée à la postérité dans l’héritage de la pensée grecque et latine, cette attitude inspirera notamment le scepticisme moderne de Montaigne.

L’épicurisme a été fondé à Athènes en 306 av. J.-C. par Épicure, qui a situé son école dans un jardin qu’il a acheté lui-même, et où il a passé le reste de sa vie. C’est une philosophie matérialiste qui vise – comme la plupart des philosophies de l’Antiquité – à atteindre la sérénité de l’âme, mais sans en passer par un ascétisme extrême. Elle affirme que le bonheur terrestre peut être atteint par un certain art de vivre qui entretienne le plaisir et évite la douleur. Caricaturé comme l’apologie du désir illimité, l’épicurisme repose au contraire sur le dosage du plaisir au nom même du plaisir. Épicure lui-même vivait très simplement et n’avait de cesse de prêcher la modération. L’épicurisme a été restauré au XVIIe siècle par le prêtre Pierre Gassendi, et il est aujourd’hui défendu par Michel Onfray. On utilise couramment l’adjectif « épicurien » pour désigner un bon vivant, qui s’adonne aux plaisirs de la table et aux jouissances de la chair.

Courant adversaire de l’épicurisme, le stoïcisme (du grec ancien stoa, « le portique ») a été fondé à Athènes en 301 av. J.-C. par Zénon, qui a créé l’école dite du « Portique », en référence à celui où il donnait des cours dans l’Agora. Le mouvement connaîtra toutefois une longue histoire (jusqu’au VIe siècle), marquée par une diversité de débats internes à l’origine de sous-mouvements. Ainsi, on distingue traditionnellement l’ancien stoïcisme des fondateurs ; un stoïcisme dit « moyen » où la doctrine a subi l’influence d’autres mouvements ; et un nouveau stoïcisme, ou stoïcisme « impérial » (en référence à l’Empire romain). Seules les œuvres de ce dernier sous-courant ont pu être intégrées à l’héritage de la pensée grecque et latine, particulièrement celles d’Épictète, de Sénèque, et de Marc-Aurèle. Le message de ces auteurs consiste principalement en une éthique du détachement : l’individu peut trouver le calme des passions en se conformant à l’ordre rationnel de la nature, plus précisément en se focalisant sur les choses qui dépendent de lui, et en libérant son esprit des autres. Cette éthique revient aujourd’hui à la mode par le biais des entrepreneurs de la Silicon Valley, qui y voient un remède à l’incertitude des affaires.

La révolution chrétienne

L’émergence de la religion chrétienne a progressivement imprégné la pensée grecque et latine, jusqu’à en devenir un facteur déterminant vers la fin de l’Empire romain. Cette influence est due eux efforts de saint Paul, qui fut le véritable fondateur du christianisme : apôtre du Christ, il a effectué des voyages missionnaires, fondé des Églises, et ainsi diffusé autant que possible la pensée de Jésus.

Dans celle-ci, Dieu a créé le monde par la parole, et il a aussi, ce faisant, créé le temps – un temps donc linéaire, par opposition au temps cyclique des Grecs. L’idée principale du christianisme est probablement l’amour, auquel est donné un sens nouveau. Les hommes doivent aimer Dieu, qui les aime en retour ; mais ils doivent également s’aimer entre eux, c’est-à-dire pratiquer la charité (ignorée par les Grecs). Cette religion pose aussi que les hommes peuvent dialoguer avec Dieu, en conséquence de quoi ils sont tous égaux devant lui – cette égalité tranche avec l’élitisme grec (la sagesse réservée à une élite), mais on peut aussi y voir un héritage de l’universalisme stoïcien et romain.

La pensée chrétienne sera diffusée au cours du premier millénaire par les apologistes et les Pères de l’Église (le nom donné aux défenseurs de la doctrine), dont le plus célèbre est le philosophe et théologien saint Augustin.

Tu trouveras plus de détails en lisant ma synthèse consacrée au deuxième chapitre du programme de culture générale de la première année de prépa HEC, intitulé « Les apports du judaïsme, du christianisme et de l’islam à la pensée occidentale ».

L’HISTOIRE

Tout comme la philosophie, l’histoire est née en Grèce antique pour dépasser le mythe et l’épopée en établissant la vérité des événements. Apparu en français au XIVe siècle, le terme est issu du grec historia qui signifie « enquête ».

Cicéron qualifiera Hérodote (-480, -425) de « père de l’Histoire » parce que son Enquête (également dénommée Histoires) constituait la plus vaste entreprise de restitution rigoureuse du passé. Grand voyageur, il a pu collecter de nombreux faits (historiques, religieux, politiques, culturels) sur les pays méditerranéens et moyen-orientaux qu’il a visités (il nous a notamment transmis beaucoup de choses sur l’Égypte des pharaons). Néanmoins, Hérodote ne se limitait pas à ce travail de compilation, car il voulait donner aux événements une cohérence d’ensemble en les articulant ; en y mettant en lumière les enchaînements causaux ; en en étudiant tous les acteurs, grecs comme non grecs (lui-même étant probablement d’origine barbare).

Voici comment il pose son exigence au début de l’Enquête :

« En présentant au public ces recherches, Hérodote d’Halicarnasse se propose de préserver de l’oubli les actions des hommes, de célébrer les grandes et merveilleuses actions des Grecs et des Barbares, et, indépendamment de toutes ces choses, de développer les motifs qui les portèrent à se faire la guerre. » (traduction de Pierre-Henri Larcher, disponible sur Wikisource)

Dans le détail, la rigueur d’Hérodote laissait en réalité à désirer[1] ; c’est pourquoi c’est Thucydide (-465, -400) qui est considéré comme le premier historien rationnel sérieux (il mettait notamment en évidence les enjeux économiques des conflits). Ainsi, Clio, la muse grecque de l’Histoire, est souvent représentée sous la figure d’une jeune fille tenant dans sa main droite une trompette, et dans sa main gauche un livre ayant pour titre « Thucydide ».

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine

LA SCIENCE

Si on considère généralement que la science, entendue comme la discipline d’observation de la nature, est née en Grèce antique vers le VIe siècle av. J.-C. – et qu’en cela elle appartient donc à l’héritage de la pensée grecque et latine – elle est véritablement née bien plus tôt, dans les civilisations sumériennes et babyloniennes à la même époque que l’invention de l’écriture (au IVe millénaire avant J.-C.) ; puis elle s’est développée chez les Égyptiens, avant d’être transmise aux Grecs. L’origine précise de la science chez ceux-ci est toutefois débattue : est-ce l’héritage de Thalès ? l’atomisme de Leucippe et Démocrite ? ou la logique d’Aristote (qui n’était toutefois pas un scientifique au sens strict) ?

Au plan général, les Grecs n’ont pas fait de chimie ou de physique au sens moderne, mais ils ont posé les bases des propriétés logiques des discours scientifiques. Déjà évoqué plus tôt, Thalès aurait proposé la première vision scientifique du monde en substituant le naturel au surnaturel. Leucippe de Milet et Démocrite ont théorisé l’atomisme qui fonde encore, aujourd’hui même, la conceptualisation du monde microscopique.

Tu trouveras plus de détails en lisant ma synthèse consacrée au troisième chapitre du programme de culture générale de la première année de prépa HEC, intitulé « Les étapes de la constitution des sciences exactes et des sciences de l’homme ».

LA RHÉTORIQUE

Issue du latin rhetorica, « technique, art oratoire », la rhétorique était conçue différemment en Grèce et en Rome antiques.

Les sociétés ouvertes et démocratiques grecques valorisaient l’efficacité de la parole : on parle de rhétorique « sophistique », dont la muse était Polymnie ou Eloquentia. Elle a été mise au service de la philosophie par Platon, qui ne voulait pas en laisser le monopole aux sophistes, qu’il a caricaturés comme des professeurs mercantiles aux yeux desquels seule comptait la virtuosité technique de la parole. Elle a ensuite été codifiée par Aristote en trois types de discours : délibératif, un discours politique en vue du bien ; judiciaire, quand le juge recherche le juste ; et épidictique, en vue du beau. La fin du modèle de la cité antique a modifié la conception de l’éloquence, devenue dès lors une fin recherchée pour elle-même.

La République romaine a pour sa part développé une rhétorique dite « stoïcienne », qui valorise la beauté de la parole. Cicéron et Quintilien ont même élevé cette rhétorique au rang de science fondamentale. Le premier a défini la triple finalité de la rhétorique : la vérité (logos), la crédibilité (ethos), et l’émotion (pathos)[2]. Dans ses Institutions oratoires, le second a divisé la discipline en cinq parties : l’inventio (la recherche des arguments), la disposition (la structuration du discours), l’elocutio (la recherche des mots justes), l’actio (la diction et la gestuelle), et la memoria (garder le discours en mémoire).

Avec les siècles, la rhétorique a ensuite été focalisée sur l’écrit : elle consistait alors en l’étude des propriétés de conviction des textes (notamment religieux, au Moyen Âge). La conception antique a cependant bien sûr refait surface à la Renaissance. Dans son Histoire de la rhétorique des Grecs à nos jours, le philosophe Michel Meyer affirme l’existence d’un « noyau technique » inaltérable de la rhétorique, issu de l’Antiquité grecque et latine.

LE DROIT

On dit que les Grecs sont un peuple de philosophes, quand les Romains seraient, eux, un peuple de juristes ; mais les deux peuples ont créé des systèmes juridiques – dans les cadres de la Cité et de l’Empire – qui ont ensuite été pris pour modèles par les régimes postérieurs.

En synthèse, le droit démocratique d’Athènes se caractérise par des règles strictes d’accession à la citoyenneté : seul peut le devenir l’individu de père et de mère athéniens. Le citoyen athénien jouit de l’égalité devant la loi ainsi que du droit de participer aux affaires publiques, même si cette liberté politique peut limiter, en contrepartie, sa liberté individuelle, comme l’expliquera Benjamin Constant dans De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes.

L’exercice du pouvoir est également encadré par le droit. Les deux procédures principales de la démocratie athénienne sont la graphè para nomon (« action en justice publique dans l’intérêt des lois »), par laquelle un citoyen met en cause la légalité d’un décret ou d’une loi ; et l’ostracisme, qui consiste à bannir pour dix ans un citoyen qui représenterait un danger fondamental pour la démocratie (par exemple, Damon d’Athènes, le précepteur et conseiller de Périclès [pas l’acteur hollywoodien], fut ostracisé parce qu’il avait recommandé des mesures controversées à son poulain).

Les Grecs ont jeté les bases du positivisme juridique[3] dans la mesure où ils ont progressivement laïcisé le droit, qui consistait jusqu’à l’époque archaïque dans les décisions du roi, prises en référence à une volonté divine (c’est plus facile), ou à la coutume. Cette évolution a été le fait de législateurs mythiques – notamment Dracon, Solon et Clisthène – dont les exemples ont en partie nourri la théorie du contrat social de Rousseau (la réalisation pratique de l’utopie rousseauiste requerrait l’intervention d’un législateur).

Dracon (VIIe siècle av. J.-C.) est à l’origine des premières lois écrites d’Athènes, affichées sur des panneaux de bois et conservées sur des stèles. Elles étaient extrêmement sévères (un simple vol était puni de mort !), d’où la prospérité de l’adjectif « draconien », aujourd’hui utilisé pour qualifier des mesures d’une sévérité excessive.

Considéré comme l’initiateur de la démocratie athénienne, Solon (VIIe et VIe siècles av. J.-C.) a mené une série de réformes qui ont mis fin aux lois de Dracon et adouci le sort du peuple (tout particulièrement avec la fin de l’esclavage pour dettes). Il est aussi à l’origine de nouvelles catégories de règles qui correspondent, dans la perspective moderne, au droit privé, au droit criminel, et à la procédure légale.

Enfin, Clisthène (VIe siècle av. J.-C.) a mis en place des réformes visant à garantir l’isonomie (isos, « même », et nomos, « la loi ») entre les citoyens, c’est-à-dire l’égalité de droits politiques, dans le but d’éviter le retour de la tyrannie.

En comparaison à celui d’Athènes, l’apport de Rome concerne essentiellement le droit privé. Pour ce qui est des droits politiques, on peut retenir qu’ils ont été progressivement conquis par la plèbe au fur et à mesure de ses révoltes ; mais elle a essentiellement obtenu un droit de veto (l’intercessio) pour ses représentants, les tribuns de la plèbe (fonction créée en -494, après la première sécession de la plèbe sur l’Aventin).

Le droit privé a, pour sa part, connu une longue évolution. Il était d’abord coutumier et oral, lorsqu’il encadrait les relations des gens (groupes familiaux) ; puis le pouvoir s’est saisi de plus en plus de cas particuliers, en partie pour éviter les vendettas entre gens ; enfin, les protestations des plébéiens (contre l’arbitraire des jugements rendus par les patriciens) ont abouti à la loi des Douze Tables (-451, -449), le premier corpus de lois romaines écrites. Sur le temps long, le droit romain s’est universalisé en devenant un droit naturel (jus naturale), ou droit des gens (jus gentium).

On divise conventionnellement l’histoire du droit romain en 3 périodes : 1° une période dite « des actions de la loi » (-450, -150), au cours de laquelle le pouvoir royal déprivatise la justice en lui donnant notamment un grand formalisme ; 2° une période dite « de la procédure formulaire » (-150, IIIe siècle), où le droit est assoupli pour permettre au préteur de trouver la solution la plus adaptée à la situation ; 3° enfin, une période dite « de procédure extraordinaire » (à partir du IIIe siècle), qui permet à l’empereur et à ses fonctionnaires de court-circuiter le caractère théoriquement privé des jugements. Cette dernière période a également été celle de grandes compilations juridiques, comme les codes Théodosien et Justinien.

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine Code théodosien

Avec le recul, les nombreuses innovations juridiques de la Rome antique s’expliquent probablement par le fait que la République, puis l’Empire constituaient en pratique un État ayant à gérer beaucoup d’ethnies différentes – cet État avait donc besoin d’organiser leurs relations afin de faire prévaloir l’égalité devant la loi.

Tu trouveras plus de détails sur les institutions politiques grecques et romaines en lisant la partie suivante de ce premier chapitre du programme de culture générale de la première année de prépa HEC, intitulée « L’héritage politique ».

L’ÉCONOMIE

Dans l’héritage de la pensée grecque et latine, les Grecs ont laissé peu de choses en économie.

On considère traditionnellement que le poète Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.) est le premier à avoir pensé l’économie. Dans Les Travaux et les Jours, il affirme que l’humanité est condamnée au travail (surtout agricole), mais qu’il n’est pas synonyme de malheur, et qu’il fonde même la vie sociale. Autre grand initiateur de l’économie, Xénophon (IVe siècle av. J.-C.) a écrit un manuel d’agriculture, intitulé L’Économique (oikou nomos : « la loi de la maison »), où il traite notamment de productivité.

Ensuite, Platon défendra des idées économiques en phase avec la société de la Grèce antique, marquée par de fortes inégalités, l’ignorance de la croissance économique, et la réduction de l’économie à un jeu à somme nulle. Dans La République, il imagine une cité idéale dont la population serait limitée à 5040 (7![4]) habitants et dont la monnaie serait contrôlée par le pouvoir. De son disciple Aristote, on peut retenir cinq idées : la distinction entre la valeur d’usage et la valeur d’échange[5] ; la caractérisation d’un prix juste par la liberté de l’acheteur et l’absence de déséquilibre entre les deux parties de l’échange ; la supériorité de la concurrence par rapport au monopole ; le principe de la monnaie matérielle ; et la nocivité du prêt à intérêt, qui conduit à la ruine, puis à la perte de liberté.

Rome, qui ne concevait pas la croissance économique, a encore moins pensé l’économie.

L’héritage politique

L’héritage politique de la pensée grecque et latine constitue un élément essentiel du programme de culture générale de la première année de prépa HEC.

LA DÉMOCRATIE ATHÉNIENNE

La Grèce antique, et plus particulièrement la ville d’Athènes, est le berceau de la démocratie (démos, « le peuple », et kratos, « le pouvoir »). La naissance de ce régime n’est pas anodine, tant s’en faut, car beaucoup de cités étaient encore sous la coupe de tyrans (du grec ancien turannos, « maître), même s’ils n’abusaient pas tous cruellement de leur pouvoir.

Comme écrit plus haut, c’est le législateur Solon (VIIe et VIe siècles av. J.-C.) qui est considéré comme l’initiateur de la démocratie athénienne. Alors qu’Athènes était socialement instable, il a choisi de donner une représentation politique aux paysans pauvres (qu’il a libérés de leurs dettes) et de mettre par écrit la première Constitution. Celle-ci prévoit la réunion des citoyens une fois par semaine sur la colline de la Pnyx pour former l’Ecclesia (« l’assemblée », en grec ancien), où sont élus les dix stratèges (ou chefs d’armée) et les archontes (dirigeants politiques) ; tirés au sort (sur la base du volontariat, pour éviter l’incompétence) les magistratures – confiées pour seulement un an, afin que tout citoyen (avec un minimum de ressources) puisse participer aux affaires – ainsi que les membres de l’Héliée, un tribunal populaire qui juge en appel les décisions des tribunaux aristocratiques. Solon aurait également créé une assemblée populaire de 400 personnes, la Boulè (« conseil », ou « Sénat »), dont la fonction était de contrôler les lois.

Novatrices et plus égalitaires, ces nouvelles institutions démocratiques mécontentent beaucoup de monde, et c’est dans ces conditions que Pisistrate s’empare du pouvoir et devient tyran jusqu’en 528 av. J.-C. Il poursuivra paradoxalement l’œuvre de Solon, notamment en partageant les terres et en améliorant la représentation politique des citoyens les plus pauvres. Cependant, ses fils ne laisseront pas un aussi bon souvenir aux Athéniens.

L’approfondissement démocratique reprend avec l’aristocrate Clisthène (VIe siècle av. J.-C.), évoqué plus haut, qui reprend à son compte la constitution de Solon. Il met en place un nouveau découpage électoral afin d’améliorer le brassage de la population, où qu’elle vive dans la cité, dans un sens encore plus démocratique et égalitaire. Au niveau des institutions, Clisthène a remanié la Boulè pour la rendre plus efficace ; il a étendu les pouvoirs de l’Ecclesia, notamment en matière judiciaire ; il aurait, selon Aristote[6], mis en place l’ostracisme (mesure évoquée plus haut) ; il aurait également mis fin à l’élection des archontes, remplacée par le tirage au sort.

La contribution réelle des réformes de Solon et Clisthène à la démocratie grecque est sujette à débat, mais il est admis qu’elles ont prévenu le réveil de la tyrannie.

Autre figure de la démocratie athénienne, l’homme d’État et stratège Périclès l’a défendue alors qu’elle était encore fragile. Il en fait un célèbre éloge dans son oraison prononcée en l’honneur des soldats morts au cours de la première année de la guerre du Péloponnèse (Athènes contre Sparte, de -431 à -404) : « Notre constitution politique, affirme Périclès, n’a rien à envier aux lois qui régissent nos voisins ; loin d’imiter les autres, nous donnons l’exemple à suivre » (La Guerre du Péloponnèse, Thucydide). De son point de vue, les institutions démocratiques d’Athènes, et tout particulièrement les lois, diffusent un esprit favorable au vivre ensemble. Il les a réformées pour favoriser encore davantage la participation directe des citoyens à la décision politique, par exemple en octroyant aux plus pauvres et aux habitants les plus éloignés de l’Ecclesia une indemnité (le misthos) – même si elle ne couvrait que partiellement le coup d’opportunité de la participation politique.

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine Périclès

Ainsi, les réformes successives ont abouti à une architecture démocratique équilibrée, garante à la fois de la légitimité du système politique (grâce à la participation des citoyens, aux différentes formes d’égalité, aux obstacles institutionnels opposés aux ambitieux tentés par l’autocratie) et de son efficacité.

En dépit de l’évidente réussite que représente ce système, il n’était pas exempt de limites.

En premier lieu, l’égalité devant la loi ne concernait en réalité qu’une minorité de citoyens (environ un sur six), qui n’étaient ni des femmes, ni des métèques (étranger protégé par la loi sans être citoyen) ou des esclaves (il y en avait entre 1 et 4 par ménage, soit dix fois plus que de citoyens).

Ensuite, les contraintes pratiques empêchaient la majorité des citoyens de prendre effectivement part à l’action politique. Le misthos ne suffisait pas aux plus pauvres, et les paysans vivant à l’écart du cœur de la cité ne pouvaient pas y sacrifier autant de temps.

Enfin, même si les citoyens les moins aisés parvenaient à se rendre à l’Ecclesia, ils ne pouvaient pas y faire preuve d’une éloquence comparable à celles des citoyens les plus aisés, qui ont, eux, reçu une formation à la rhétorique, et qui ont le temps de travailler leurs discours.

Il faut également se souvenir que la démocratie n’était pas un régime consensuel à Athènes comme elle peut l’être aujourd’hui. Platon considère que le fondement logique du régime – que le peuple soit capable de prendre de bonnes décisions – est fallacieux, parce que le peuple répond à l’apparence, au préjugé, et à la passion – la démocratie dégénérerait donc naturellement en anarchie. Cette critique existe toujours, comme le prouve cette citation prêtée à Churchill : « Le meilleur argument contre la démocratie est une conversation de cinq minutes avec l’électeur moyen ».

Pour finir, si la démocratie athénienne est importante dans l’héritage de la pensée grecque et latine sur lequel reposent les démocraties occidentales modernes, celles-ci diffèrent cependant de leur modèle antique. Le régime est apparu comme un remède au despotisme monarchique pour légitimer le pouvoir, le partager, et égaliser les conditions ; mais les contraintes logistiques de la démocratie directe expliquent que les révolutions anglaise (1688), américaine (1787) et française (1789) lui ont préféré, pour leurs ensembles politiques beaucoup plus peuplés, la démocratie indirecte.

La démocratie moderne est donc loin d’être « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », comme l’a définie Abraham Lincoln (discours de Gettysburg). Rousseau a d’ailleurs écrit qu’« à prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais » (Du contrat social).

LA RÉPUBLIQUE ROMAINE

La République romaine se caractérise par des institutions originales qui ont évolué au cours de son histoire.

À l’apogée du système, l’État fonctionnait principalement grâce à une trentaine de magistrats supérieurs (du latin magister, « le maître »), qui dirigeaient des fonctionnaires subalternes. Tous les magistrats exercent le pouvoir de l’État (potestas) et agissent au nom de la République, mais seuls les magistrats supérieurs (dictateurs, consuls, préteurs, etc.) sont revêtus de l’imperium, un pouvoir de commandement civil et militaire d’essence religieuse, hérité de la royauté étrusque – le pouvoir n’est donc pas autant rationalisé et laïcisé que dans la démocratie athénienne. Au passage de la royauté à la République, l’imperium a été réparti entre plusieurs titulaires et rendu temporaire.

Les magistrats sont tous élus (à l’exception de certaines magistratures d’exception), même si ces élections sont en pratique verrouillées par l’oligarchie au pouvoir. La limitation de leur mandat à seulement un an oppose clairement la République romaine à la royauté ou à la tyrannie, mais la nécessité d’une certaine continuité a justifié la prorogation de la fonction (c’est la notion de « pro-magistrature »). Étant donné leur collégialité – qui permet d’éviter le pouvoir personnel – les magistrats sont compétents pour tout. Enfin, les magistratures sont hiérarchisées.

Les principales magistratures sont la dictature (en cas de danger vital pour la République) ; l’interroi, magistrat nommé à titre exceptionnel, qui règle les affaires courantes quand le pouvoir est vacant ; les censeurs, qui représentent la plus haute autorité morale de la République, et dont la fonction consiste notamment à recenser les citoyens, lister les sénateurs, et censurer les mœurs ; les consuls, choisis par le Sénat, qui disposent de l’imperium ; les préteurs, qui ont surtout des fonctions judiciaires ; parmi les magistratures sans imperium, enfin, les édiles, qui ont des fonctions civiles, et les questeurs, qui instruisent les affaires criminelles.

Le peuple avait certes un rôle important dans la République romaine : il s’exprimait par le biais des assemblées, et il avait ses propres magistrats, les tribuns de la plèbe ; cependant, à Rome, le peuple n’équivalait pas à la totalité des habitants, mais à l’ensemble des citoyens, soit les individus disposant du droit de cité romaine (tiré de la naissance, ou d’un privilège individuel, et qui exclut l’affranchissement).

Les tribuns de la plèbe sont une de ses institutions majeures. D’origine révolutionnaire et réservée aux plébéiens, la fonction a toutefois été intégrée à la République à partir du IIIe siècle. Les dix tribuns élus par le concile de la plèbe le président et peuvent faire voter des lois par plébiscite. Ils ne disposaient pas de l’imperium, mais ils avaient des pouvoirs redoutables, jouissaient d’un statut sacré et inviolable, en vertu duquel ils avaient presque droit de vie ou de mort sur tout le monde. Si leur capacité de blocage politique leur a permis d’obtenir beaucoup de choses pour la plèbe, ce pouvoir était cependant circonscrit à l’intérieur des frontières de la ville ; et en pratique, les sénateurs instrumentalisaient les divisions entre les tribuns pour contrôler leur pouvoir.

Le peuple romain était représenté dans quatre assemblées qui constituaient un système complexe en comparaison de la démocratie athénienne : les comices curiates qui votent pour les magistrats supérieurs ; les comices centuriates qui votent aussi pour les magistrats supérieurs, pour la loi, et sont compétents en matière judiciaire ; les comices tributes et l’assemblée de la plèbe, qui élisent les magistrats de la plèbe, les magistrats inférieurs, et votent des lois ou des plébiscites.

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine Comices

Lieu du véritable pouvoir dans la République romaine, le Sénat comportait entre 300 et 600 membres selon les époques. Le sénateur recevait des honneurs particuliers, mais le devenir demandait de satisfaire à des conditions sociales, morales et politiques très restrictives – il fallait notamment avoir déjà été magistrat, ce qui signifiait aussi que le Sénat était (très) indirectement choisi par le peuple. Dans l’assemblée hiérarchisée en fonction de l’origine sociale, de la magistrature, et de l’ancienneté, le sénateur pouvait débattre toute question – il était omnicompétent – mais il traitait surtout des affaires étrangères, des conflits extérieurs, de l’administration, de la justice, des finances. Le Sénat agissait par des avis votés (les sénatus-consultes), et il avait le pouvoir d’annuler une loi déjà votée. En définitive, cette institution romaine était loin d’être comparable à une vraie assemblée parlementaire moderne.

L’héritage artistique

L’HÉRITAGE LITTÉRAIRE

Les œuvres littéraires de l’héritage de la pensée grecque et latine les plus anciennes sont des épopées mythologiques grecques (du grec ancien épos, « ce qui est exprimé par la parole »), tandis que la fiction romanesque était quasiment inexistante. S’il est un aède (poète grec) à l’existence historique douteuse, Homère (fin du VIIIe siècle av. J.-C.) aurait composé les premières à partir d’une tradition orale dans laquelle le poète raconte en vers, en alternant le récit et les dialogues, les exploits de héros. Aristote affirme dans sa Poétique que la fonction de l’épopée est d’inspirer l’imitation (mimesis) des « hommes de haute valeur morale ».

Les deux grands textes homériques, L’Iliade et L’Odyssée ont durablement structuré la pensée occidentale. Ils auraient d’abord servi à raviver la conscience nationale grecque en rappelant aux contemporains le passé glorieux des ancêtres mythiques, tout en légitimant la domination des grandes familles grecques.

Pour faire simple, L’Iliade raconte une semaine de combat de la guerre de Troie. En apparence déclenché par la rivalité entre le roi de Sparte Ménélas et le prince troyen Pâris pour la belle Hélène, le conflit met aux prises les Achéens, issus de toute la Grèce, et les Troyens et leurs alliés. Le récit d’Homère met particulièrement en lumière la figure d’Achille (joué par un Brad Pitt acnéique dans l’adaptation cinématographique), le parfait guerrier aristocratique animé par l’amour de la gloire.

Homère poursuit le récit de la guerre de Troie (notamment l’épisode du cheval et la chute de la ville) dans L’Odyssée, qui relate le retour du héros Ulysse à Ithaque (petite île au centre-ouest de la Grèce). Mis en danger par Poséidon, il devra surmonter obstacle sur obstacle, si bien que son voyage sur mer durera dix ans, avant qu’il ne retrouve sa femme Pénélope et son fils Télémaque.

Le poète latin Virgile (-70, -19) s’inspirera largement de L’Iliade et de L’Odyssée pour raconter dans L’Énéide les épreuves d’Énée, héros troyen considéré comme l’ancêtre mythique du peuple romain parce qu’il se serait installé dans la région de Rome, le Latium, après avoir fui Troie en flammes. Cette épopée a, elle aussi, puissamment inspiré des générations de poètes et d’artistes en Occident.

L’HÉRITAGE POÉTIQUE

Les Grecs avaient une conception large de la poésie, selon laquelle tout texte en prose devait être mû par une ambition esthétique – en cela, il était assimilable à de la poésie. Aristote défendait d’ailleurs une acception assez large du terme poiêsiscréation »), la production d’une œuvre extérieure à l’agent, ce qui caractérise donc tout texte mêlant l’esthétique et l’imaginaire. En pratique, la poésie de la Grèce antique était aussi étroitement liée au chant et à la musique : les aèdes grecs chantaient leurs poèmes avec la cithare et la phorminx (l’ancêtre de la lyre), comme le feront les troubadours et les trouvères du Moyen Âge.

Cette poésie était, dans son fond, d’essence religieuse. En effet, les premiers poètes auraient été des prêtres, et leurs poèmes des chants religieux. Les deux fonctions n’auraient été distinctes que dans un second temps, quand l’aède devint une sorte d’artiste au service du peuple, pour lequel il chantait les louanges des dieux. Au temps de la Guerre de Troie, le poète célèbre désormais surtout la gloire des héros. En même temps qu’il imaginait les puissantes figures mythologiques, il se prétendait lui-même animé par une inspiration divine, celle des muses, à l’origine de la virtuosité du langage qui permet de produire la beauté par les mots.

C’est le poète et musicien Orphée, prince légendaire, fils de la muse Calliope, et dont on dit que les vers charmaient même les bêtes sauvages, qui symbolisait la figure du poète. Comme principaux poètes de l’Antiquité grecque – dont toutefois souvent seuls des fragments subsistent – outre Hésiode et Homère, on peut retenir les noms d’Archiloque, de Théognis de Mégare, ou encore de la poétesse Sapho.

La poésie grecque antique laissera un important héritage à partir de la Renaissance.

Au XVIe siècle, les poètes de la Pléiade[7] (dont notamment Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay) veulent rompre avec la poésie médiévale en imitant les auteurs gréco-latins et en créant des néologismes à partir du latin et du grec. À l’époque classique, on révère la perfection des Anciens, qui inspire une grande rigueur de composition, au point de déclencher à l’Académie française la querelle des Anciens et des Modernes, ces derniers refusant pour leur part, au nom du progrès, l’héritage antique. Dans ce même siècle, Jean de La Fontaine plagie les fabulistes Ésope et Phèdre.

Au siècle des Lumières, la révolution des idées n’empêche pas l’héritage du format : Voltaire, par exemple, s’essaie à l’épopée, fait des vers, ou encore écrit des discours en alexandrins. Au XIXe siècle, les poètes du Parnasse s’opposent au romantisme en prônant une poésie savante et technique, et en s’inspirant de sources grecques et romaines, comme Callimaque de Cyrène ou Théocrite (IIIe av. J.-C.). Leur chef de file, Leconte de Lisle, compose même des mini-épopées centrées sur la mythologie grecque.

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine Parnasse

L’HÉRITAGE THÉÂTRAL

Le théâtre grec ne mélangeait pas les genres, exigence que reprendra à son compte le théâtre classique.

Le genre théâtral le plus ancien est la tragédie, qui s’est développée durant le « siècle de Périclès » (Ve siècle av. J.-C.). Son étymologie énigmatique – les mots tragos (« bouc ») et oide (« chant, poème chanté »), dont la combinaison définirait la tragédie comme un « chant du bouc » – suggère son origine religieuse : elle serait issue des fêtes rituelles archaïques organisées en l’honneur de Dionysos, le dieu du vin et de la démesure, et des cérémonies funéraires où l’on se déguisait pour entrer en communication avec un autre monde. Pour Aristote, plus précisément, la tragédie dépeint avec des mots soigneusement choisis la sanction, par les dieux, de l’hybris (la prétention à la toute-puissance) des hommes, afin de provoquer la catharsis par la terreur et la pitié.

En pratique, la représentation de la tragédie avait une fonction politique : elle était organisée par l’État dans le but de s’assurer le soutien du peuple contre les élites (les concours de tragédie des fêtes dionysiaques organisées par le tyran Pisistrate au VIe siècle av. J.-C., par exemple). On peut également lui voir une fonction sociale, et même presque démocratique, dans la mesure où elle ne servait pas seulement à divertir, mais aussi à créer du lien social.

Issu du grec thea, « l’acte de regarder », le théâtre se définirait étymologiquement comme le « lieu d’où l’on regarde ». Les premières scènes théâtrales grecques – des cours avec des gradins – dateraient du milieu du deuxième millénaire avant J.-C. Elles étaient des bâtiments en bois permettant aux acteurs de changer de costume, avec un toit en terrasse où apparaissaient les personnages divins. Comme la représentation était un spectacle total, mêlant musique, danse et paroles, un espace de la scène est dédié au chœur, un autre à la danse.

Les trois grands auteurs tragiques de la Grèce antique sont Eschyle (-525, -456), dont le théâtre (Les Perses, par exemple) possède une grande force dramatique ; Sophocle (-495, -406), considéré par Aristote comme le meilleur exemple de la tragédie grecque pour son usage du chœur et sa pièce Œdipe roi ; et enfin Euripide (-480, -406), qui a innové notamment en humanisant les héros.

En matière de composition, la tragédie grecque respecte plutôt l’unité d’action (une seule action, pas d’intrigues secondaires), ce que reprendront les canons du classicisme au XVIIe siècle ; elle mise sur l’efficacité de deux procédés, la montée de la tension dramatique et le quiproquo ; elle distingue bien le chœur et l’action, les parties chantées et les parties parlées.

La comédie serait apparue un peu plus tardivement en Grèce antique, à partir des cortèges dionysiaques (imagine-t-on). Les comédiens les plus remarquables sont Épicharme (également considéré comme un philosophe présocratique), et surtout Aristophane (-445, -385), qui s’est par exemple moqué des démagogues (par exemple dans Les Cavaliers).

Dans la Rome antique, le théâtre présentait des caractéristiques similaires à celles du théâtre grec : il avait également une dimension religieuse, les représentations constituant un culte rendu à Bacchus, dieu de l’ivresse et de l’inspiration artistique ; il s’agissait aussi, en pratique, d’un spectacle total mêlant divers arts ; il avait une fonction politique, car les représentations étaient données pendant les jeux publics et présidées par un magistrat qui prenait en charge le coût du spectacle, gratuit et accessible pour tous. Les acteurs étaient souvent des esclaves (sacrifiables sur scène, réalisme oblige !) ou des affranchis.

L’HÉRITAGE ARCHITECTURAL

Les architectures de la Grèce et de la Rome antiques ont considérablement influencé l’histoire de l’art occidental.

Connue par les temples et les théâtres qui ont subsisté, l’architecture grecque daterait de l’époque mycénienne (XII-VIIe siècles av. J.-C.), où des matières légères comme les briques et le bois étaient privilégiées, avant que ne leur soient substituées des matières plus solides (la pierre, le marbre) à partir de l’époque archaïque. L’architecte n’était pas un artiste (même lorsque son travail avait un caractère artistique, comme le Parthénon réalisé par Ictinos), mais un artisan entrepreneur au service de l’État ou d’un riche client.

Les bâtiments étaient typiquement des cubes, ou des parallélépipèdes constitués de gros blocs de pierre à chaux. Les formes les plus communes étaient le tholos, un bâtiment circulaire ; les porches des entrées des temples ; les portiques ; les palestres ou les gymnases où se déroulaient les entraînements et les compétitions athlétiques. On distingue deux styles principaux : le dorique (venu prétendument des Doriens), un idéal de simplicité qui caractérise la majorité des bâtiments subsistants ; et le ionique (venu des Ioniens), plus ornementé, qui a dominé à l’époque hellénistique (-323, -30).

L’architecture romaine s’est beaucoup inspirée de l’architecture grecque, mais elle a aussi sa part d’originalité avec les structures inventées en réponse à la forte densité de la ville et aux problèmes de santé publique. Par exemple, des structures telles que la voûte ou l’arche ont servi à construire des édifices inédits comme les aqueducs, les complexes thermaux, les basiliques ou les amphithéâtres. Ainsi, les constructions romaines étaient adaptées à un usage précis en même temps qu’elles contribuaient au prestige politique. Les matériaux de construction privilégiés étaient les pierres volcaniques, la brique romaine, et différentes sortes de marbre.

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine Parthénon

On doit à l’Italie de la Renaissance d’avoir importé en France les conceptions architecturales des Antiquités grecque et latine, qui se retrouvent dans les châteaux français et dans le style classique français initié par Pierre Lescot (le rénovateur de la façade du Louvre).

L’HÉRITAGE SCULPTURAL

Si la sculpture est probablement la dimension la plus connue de l’art grec antique, seule une faible partie a pu être transmise, parfois mutilée ou transformée par des erreurs de restauration (mais en comparaison, presque toutes les peintures ont disparu). Elle avait essentiellement une fonction religieuse : on offrait une sculpture aux dieux avec une arrière-pensée, s’acheter leur protection.

On distingue presque dix styles différents le long de l’histoire de la Grèce antique, mais l’âge d’or de la sculpture grecque s’étend entre le VIIIe et le IIe siècles av. J.-C. Les sculpteurs les plus connus (Myron, Polyclète, Phidias, Praxitèle) ont acquis leur notoriété grâce à des auteurs, car les chefs-d’œuvre n’étaient la plupart du temps pas signés. Leurs matériaux de prédilection étaient le bronze (puis l’argent), argile, bois, incrustations d’or et d’ivoire, et un peu le marbre. Si les œuvres étaient réalisées en Grèce antique, une bonne partie ont été dispersées par le commerce et la colonisation.

La sculpture romaine est souvent caricaturée comme une simple répétition de la sculpture grecque (dont elle a réalisé beaucoup de copies et de variantes à base de terre cuite et de bronze), mais elle présente tout de même des spécificités. À Rome, c’est le goût des riches commanditaires qui prévalait, car les sculpteurs étaient souvent des esclaves ou des affranchis (d’où leur quasi-anonymat historique). Le cadre moral était également différent : la nudité grecque était incompatible avec la pudeur romaine, qui recherchait plutôt les valeurs de la citoyenneté républicaine (autorité, gravité, dignité). Enfin, la sculpture romaine était très étendue dans l’espace et dans le temps.

En dépit des ravages du temps, les sculptures grecque et romaine ont laissé un important héritage artistique pour les sculpteurs occidentaux, tout particulièrement à partir de la Renaissance. Par exemple, les sculpteurs Jean Goujon et Germain Pilon ont travaillé selon les canons esthétiques de la statuaire hellénistique.

L’héritage mythologique

La mythologie de la Grèce antique s’est développée sur une longue période, de la civilisation mycénienne (milieu du deuxième millénaire avant J.-C.) jusqu’à la domination romaine, et elle a été transmise principalement par les épopées d’Homère et la Théogonie d’Hésiode. Si elle témoigne de la vision du monde des Grecs, la frontière entre les événements mythiques et l’histoire proprement dite n’est pas nette[8]. La religion grecque n’était pas fondée dans des textes sacrés, ou sur des dogmes ; elle consistait dans des rituels propres à la communauté – l’individu n’était pas libre de les modifier – et dans des cultes rendus à des héros.

La mythologie grecque comporte tout d’abord des récits des origines.

La cosmogonie (de kosmos, « monde », et de gonos, « procréation ») raconte la naissance et la mise en ordre du monde. La plus fameuse est celle proposée par Hésiode dans sa Théogonie : les éléments primordiaux Chaos, Éros (la puissance créatrice), et Gaïa (la Terre, qui engendre le ciel et la mer) seraient apparus successivement ; puis Chaos aurait engendré d’autres lignées de divinités, y compris des monstres. Il existe toutefois d’autres versions de cette cosmogonie, comme dans L’Iliade ou dans les courants religieux.

L’anthropogonie (anthropos, « homme ») est le récit de la création de l’humanité. Si plusieurs versions se font concurrence dans la mythologie grecque, on retient généralement celle dépeinte par Hésiode (encore lui) dans Les Travaux et les Jours, où il narre notamment le mythe des cinq races qui se seraient succédé dans l’humanité : la race d’or, qui vivait en accord avec une nature paradisiaque sans travailler ; la race d’argent, vouée à subir les conséquences de son hybris ; la très belliciste race de bronze ; la race des héros, nés de l’accouplement des dieux et des mortelles ; la race actuelle, de fer, qui va au-devant de temps plus durs. Les anthropogonies grecques visent parfois des dimensions plus précises de l’humanité, comme la création de la femme dans le mythe de Pandore, ou encore l’origine (mythologique) des arts et techniques dans le mythe de Prométhée (qui a dérobé le feu aux dieux pour le donner aux hommes).

Les dieux de la mythologie grecque peuvent évoluer dans le monde réel, à ses frontières, ou en dehors. Les plus importants sont situés sur l’Olympe (en référence au mont Olympe en Grèce du Nord), mais ils vont parfois rendre visite aux hommes sous diverses apparences. L’au-delà a été conçu de différentes manières : Homère situe les enfers dans l’Hadès (où le mort doit franchir le Styx), demeure du dieu Hadès et de sa femme Perséphone ; selon une autre version, le royaume des morts est le Tartare, dans les profondeurs de la terre ; enfin, d’autres récits font l’hypothèse d’un au-delà heureux.

Prépa HEC héritage pensée grecque et latine Olympe dieux

Voici un tableau des divinités les plus importantes :

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La caractéristique fondamentale des dieux grecs est probablement leur anthropomorphisme (anthropos, « homme ») : ils ressemblent beaucoup aux hommes de par leur apparence, leurs actions, et leurs sentiments. Ils ne s’en préoccupent toutefois que très peu (dans les épopées d’Homère, par exemple) – c’est à peine s’ils réagissent à leurs manifestations de piété. Zeus a une importance particulière dans la relation entre les Grecs et leurs dieux, qui fait office de juge et de médiateur.La cohérence du système mythologique grec est cependant limitée étant donné qu’y coexistent diverses théogonies, cosmogonies, et versions des mêmes mythes.

La mythologie grecque a fortement influencé la mythologie romaine, mais celle-ci s’est également inspirée des mythologies égyptienne et syrienne. Les divinités des premiers Romains ayant été balayées par l’influence grecque, seules quelques divinités locales ont subsisté (le culte privé de Vesta, par exemple). L’originalité de la mythologie romaine réside surtout dans les récits de fondation de cités (comme celui de Rome, notamment).

Les religions grecque et romaine sont mortes, mais les mythologies afférentes ont toujours constitué une grande source d’inspiration pour les artistes (les scènes mythologiques [parfois déshabillées] des peintres de la Renaissance, par exemple), et elles font plus généralement encore l’objet de quantité de références dans la vie et le langage quotidiens.

Les autres héritages culturels

L’HÉRITAGE LINGUISTIQUE

Beaucoup de mots français sont issus du grec et/ou du latin, de telle sorte que leur définition commence conventionnellement par l’étymologie (du grec ancien etumos, « vrai », et logos, « parole », dont l’association signifierait donc « l’étude du vrai sens d’un mot »). Dans nombre de cas, le mot est d’abord passé du grec ancien au latin, avant d’accoucher d’un mot français – même si le mot final peut fortement différer, d’un point de vue phonétique, du mot initial.

Le grec ancien est prédominant dans le vocabulaire scientifique. En médecine, par exemple, les dénominations des spécialités sont souvent construites à partir du nom de l’organe ou de sa fonction en grec ancien, auquel est ajouté le suffixe « -logie » (du grec logos, « discours, étude ») : la pneumologie (pneuma, « souffle, respiration »), la cardiologie (kardia, « cœur »), la neurologie (neuron, « nerf »), etc. Dans la plupart des langues européennes, la majorité des néologismes savants sont construits à partir de radicaux grecs (la psychanalyse à partir de psuche, « l’esprit », par exemple), mais aussi latins (la médiologie à partir de medium, « la moitié »).

Considéré comme une langue plus littéraire, le latin avait autrefois (avant mai 68 ?) dans la formation académique une fonction de structuration logique de l’esprit (par le biais du thème et de la version), comparable à celle escomptée des mathématiques, et plus généralement des sciences, aujourd’hui.

Qualifiés de « langues mortes », le latin et le grec ont cependant continué d’être enseignés au clergé, à l’école, et à l’université. Elles ont été défendues notamment par l’helléniste Jacqueline de Romilly (décédée en 2010) et par l’ALLE (l’Association pour le latin dans les langues européennes, créée en 2008).

L’HÉRITAGE SPORTIF

Les jeux sportifs étaient importants pour les Grecs, qui avaient à leur disposition un gymnase dans chaque cité.

Les sports pratiqués dans la Grèce et la Rome antiques (par exemple, le saut en longueur, les lancers de javelot et de disque, la lutte) sont de nos jours classés dans l’athlétisme. On peut également mentionner les sports de combat comme le pancrace (un genre de MMA) ou le pugilat (l’ancêtre de la boxe anglaise).

Les Jeux olympiques modernes sont hérités des Jeux olympiques antiques tenus en l’honneur de Zeus et organisés tous les quatre ans entre les différentes cités grecques.

LES PRÉNOMS

Enfin, l’héritage grec et latin se retrouve aussi dans les prénoms, quand ceux-ci ne viennent pas de langues germaniques ou de la Bible. Une partie non négligeable des prénoms les plus donnés en 2018 sont encore d’origine grecque ou latine (notamment Jules et Léo pour les garçons). Certains sont plus précisément tirés de la mythologie gréco-latine, comme Alceste, Ariane, Doris, Hélène, etc.


[1] Par exemple, il expliquait la défaite de certains peuples par le fait que ses hommes avaient le crâne mou ; ou encore, il prétendait que le sperme des Égyptiens était noir (super souvenir de grec ancien au lycée).

[2] Elle consiste à « prouver la vérité de ce qu’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause » (L’Orateur).

[3] Le positivisme juridique considère que le droit est constitué exclusivement par les normes effectivement posées par les hommes. Il s’oppose au droit naturel, qui affirme l’existence d’un idéal de normes théoriques.

[4] 7!, ou « factorielle 7 », est égal à 7 x 6 x 5 x 4 x 3 x 2 = 5040.

[5] L’air, par exemple, a une grande valeur d’usage, mais une valeur d’échange nulle.

[6] Dans La constitution d’Athènes.

[7] Le nom est repris de la Pléiade poétique de l’Antiquité grecque, un groupe de poètes du IIIe av. J.-C. (dont faisait notamment partie Théocrite, cité plus bas).

[8] Paul Veyne affirme dans Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? que l’historien de la Grèce antique croit d’abord, et qu’il ne doute que ponctuellement, à propos des détails qui font obstacle à sa croyance.