Géopolitique États-Unis Amérique latine

Cette dissertation rédigée par Matthieu Alfré (HEC, Sciences-Po, Université Paris-Sorbonne) est issue du manuel ECS 2e année – Histoire Géographie Géopolitique – Comme au concours !.

ECS 2e année - Histoire Géographie Géopolitique - Comme au concours !

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Analyse du sujet : ce sujet classique met en relation deux ensembles contigus dont les relations historiques sont apparues contrastées. Les États-Unis d’Amérique ont adopté depuis le XIXe siècle une politique étrangère isolationniste, interventionniste puis expansionniste. Face à cette diplomatie, l’Amérique latine met en place des réactions qui tendent toutes à l’autonomiser de l’emprise de Washington DC. Dans une approche plus statique, il devient essentiel de pouvoir restituer une typologie de l’intervention états-unienne en Amérique latine aujourd’hui. Jusqu’à ce que la politique étrangère de Donald Trump vienne rendre ces constats actuels encore plus incertains.

« Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des États-Unis ». C’est par cette formule incisive que le président du Mexique au tournant du XXsiècle, soit le despote éclairé Porfirio Díaz, aurait résumé la situation géographique du pays dont il endossait la responsabilité politique. Devenu indépendant en 1824, le Mexique subissait alors cette proximité pesante avec la nation pénétrée d’ambitions que devenaient les États-Unis d’Amérique à la suite de l’énoncé de la doctrine Monroe en 1823. Or, au tournant du XXIe siècle, le projet politique formulé par le président Donald Trump met en évidence la teneur de leurs relations géopolitiques aujourd’hui. Il menace de faire payer le Mexique pour consolider la línea, frontière de haute sécurité entre les deux pays. Aussi, loin de paraître dépassé pour son ancienneté, l’aphorisme politique du despote éclairé pourrait même être généralisé pour sa perspicacité. Car il a le mérite d’insister sur le facteur structurant de la géopolitique du continent : les relations entre les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine.

Situés en Amérique du Nord, entre le Canada et le Mexique, mais aussi entre l’océan Atlantique et l’océan Pacifique, les États-Unis d’Amérique, qui s’étendent sur 9,6 millions de km², sont la première puissance du monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Puissance démographique de près de 330 millions d’habitants, ils sont aussi une puissance économique dont le produit intérieur brut (PIB) représente 19 billions de dollars en 2016. Grâce à un modèle culturel fondé sur la société de consommation et à des forces armées aguerries d’envergure mondiale, les États-Unis d’Amérique disposent d’un vaste pouvoir d’action sur leur voisinage géographique. Au sein de ce dernier, l’Amérique latine représente l’aire géopolitique qui fut « colonisée à partir du XVIe siècle par des peuples latins, principalement ibériques » pour Yves Gervaise dans Le Nouveau Monde, son ouvrage de référence. L’Amérique latine s’étend du Nord du Mexique à la Terre de Feu étant entendu qu’elle comporte également la zone Caraïbes. Ainsi, elle dispose d’une vaste superficie qui représente 20 millions de km² pour près de 630 millions d’habitants. Grâce à cette amplitude géographique, l’Amérique latine comporte d’importantes ressources naturelles, agricoles, minières ou pétrolières, qui la rendent conforme au mythe de l’Eldorado. Ce qui la singularise dans la géopolitique est son abondance de ressources naturelles dans une géographie contrastée. Ainsi, la mise en rapport de ces deux espaces géopolitiques invite à s’interroger sur la nature des interventions du pays leader sur la scène régionale.

L’intervention des États-Unis d’Amérique en Amérique latine connaît des évolutions historiques qui justifient les réactions contrastées qu’elle a engendrées. En effet, au terme d’une phase d’isolationnisme, les États-Unis d’Amérique aspirent à exercer un rapport de domination sur les territoires stratégiques ou les richesses abondantes dont dispose l’Amérique latine. Malgré cela, en raison de sa stratégie dans le contexte de la guerre froide et de ses ambitions pour le développement autocentré, l’Amérique latine entreprend de gagner son indépendance réelle à compter des années 1960. Sous l’influence de la société civile comme des forces de gauche, l’indépendance passe à la fois par une autonomisation des orientations économiques et par une diversification des alliés politiques afin de se libérer de l’emprise des États-Unis d’Amérique. Ainsi, il apparaît essentiel de dresser le bilan des actions des États-Unis d’Amérique sur l’Amérique latine. Entre l’historique de domination et la perspective de coopération, les relations entre les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine sont-elles devenues mutuellement constructives ?

En rupture avec leur isolationnisme, les États-Unis d’Amérique interviennent en Amérique latine, par la force ou par la séduction, jusqu’à dépasser les limites de la légalité (1). Ainsi, l’Amérique latine cherche à contenir le rôle des États-Unis d’Amérique dans ses affaires publiques au point de préférer se tourner vers des puissances extérieures au continent (2). Par conséquent, malgré la persistance du pouvoir des États-Unis d’Amérique sur les nations latino-américaines, leurs interactions actuelles recherchent un équilibre qui soit mutuellement favorable (3).

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1. En rupture avec leur isolationnisme, les États-Unis d’Amérique interviennent en Amérique latine, par la force ou par la séduction, jusqu’à dépasser les limites de la légalité.

a. Contre leur longue tradition isolationniste, les États-Unis d’Amérique finissent par considérer que l’Amérique latine peut être regardée comme leur « arrière-cour ».

Contre leur longue tradition isolationniste, les États-Unis d’Amérique finissent par considérer que l’Amérique latine peut être regardée comme leur « arrière-cour ». Dans la politique étrangère des États-Unis d’Amérique, la position de l’isolationnisme désigne la tendance à ne pas se préoccuper des affaires du monde au-delà de ses frontières. Dans l’impulsion de la conquête de l’Ouest, ils font déjà face à des enjeux forts procédant de la maîtrise de leur propre territoire. Il n’apparaît ni urgent ni important de s’intéresser au reste du monde. Pour autant, l’isolationnisme traditionnel ne résiste pas aux évolutions de leur politique étrangère, laquelle se met en conformité avec leurs grandes ambitions. Dans l’histoire des idées contemporaines, la doctrine Monroe proclame son slogan « l’Amérique aux Américains » dès 1823 en vue de mettre à l’écart les puissances européennes qui convoitent toujours le continent colonisé. Cet intérêt renforcé pour le continent se précise lorsque John O’Sullivan pense la « Destinée manifeste » en 1844 dans United States Magazine and Democratic Review. Il entrevoit que le rôle de la nation peut devenir de se porter vers les affaires du monde. Les ambitions de puissance poussent les États-Unis d’Amérique à s’ingérer dans les affaires du continent américain par le corollaire Roosevelt de 1904. C’est ce qui donne une tonalité interventionniste, sinon expansionniste, à la politique étrangère des États-Unis d’Amérique.

Doctrine Monroe

La caricature de la doctrine Monroe par Louis Dalrymple en 1905

b. Ainsi, au début du XXe siècle, cette nouvelle orientation se traduit par le choix de l’influence politico-économique dans des territoires qui deviennent dépendants.

Ainsi, au début du XXe siècle, cette nouvelle orientation se traduit par le choix de l’influence politico-économique dans des territoires qui deviennent dépendants. Fondés sur l’exploitation du potentiel agricole du continent, les États-Unis d’Amérique soutiennent les régimes des « républiques bananières » comme le Honduras, le Nicaragua ou le Costa Rica. En effet, ils créent des modes d’exploitations agricoles qui sont seulement profitables aux grandes entreprises comme United Fruit Company, créée par l’entrepreneur Keith. Au lieu de maximiser la valeur ajoutée en Amérique centrale, la production est exportée brute vers l’Amérique du Nord. Cela ne contribue guère qu’au maintien d’une ploutocratie par l’enrichissement des élites dictatoriales, comme l’illustre le cas de la dynastie de dictateurs Somoza au Nicaragua entre 1937 et 1979. Cette double influence du grand voisin, autant économique que politique, se renforce continûment puisque les échanges commerciaux se font à la faveur des entrepreneurs américains ou du pouvoir local. Or, ces liens d’influence ne se dégradent pas toujours avec les modifications de régimes politiques dans la démocratisation. Les habitudes de production, les réseaux d’import-export, les débouchés naturels ou la concurrence internationale constituent autant de limites à la tentative de l’Amérique centrale de diversifier ses acheteurs de produits agricoles. Par exemple, malgré la démocratisation du Nicaragua, plus de 60 % des exportations aujourd’hui s’effectuent toujours en direction des États-Unis d’Amérique. C’est dire combien l’influence de cette nation fut réelle, profonde et durable au sein de l’Amérique latine indépendamment du cadre politique en place.

c. Plus interventionnistes, voire plus dominateurs, les États-Unis d’Amérique parviennent à déployer leur stratégie d’ingérence quel que soit le contexte historique mondial.

Plus interventionnistes, voire plus dominateurs, les États-Unis d’Amérique parviennent à déployer leur stratégie d’ingérence quel que soit le contexte historique mondial. Celle-là peut en effet s’enraciner dans des actions datant d’avant la guerre froide. Par exemple, tel est le cas du soutien apporté à la sécession du Panama, alors province de la Colombie, appui qui débouche sur une déclaration d’indépendance en 1903. Loin d’être désintéressés dans leur démarche, les États-Unis d’Amérique obtiennent la signature du traité Hay-Bunau-Varilla. Elle leur confère une souveraineté à perpétuité et une base militaire sur le canal de Panama. Ce n’est guère qu’avec le traité Carter-Torrijos de 1973 que la rétrocession du canal de Panama est prévue pour 1999 sans qu’il soit toutefois possible de conclure à un reflux d’ingérence. Car, pendant cette période de guerre froide, les priorités nouvelles se dessinent pour leur doctrine d’intervention en l’Amérique latine. La politique étrangère des États-Unis d’Amérique sur le continent devient focalisée sur l’opposition au modèle communiste défendu par l’Union des républiques socialistes soviétiques. Cette perspective d’endiguement peut donner lieu à des actions qui excèdent les limites de la légalité internationale. En ce sens, le rôle des agences de renseignement, comme la Central Intelligence Agency (CIA), va jusqu’à fournir un appui aux dictatures de droite en proie à des luttes révolutionnaires. Des régimes contestés comme le Chili du général Pinochet de 1973 à 1990 ou l’Argentine de 1976 à 1983 avec Perón et Videla en auraient bénéficié. En vue de poursuivre leurs buts politiques dans la guerre froide, l’opération Condor menée dans le sous-continent emploie des méthodes de contre-insurrection contraires aux droits de l’Homme. Dans la droite ligne de leur volonté expansionniste, les États-Unis d’Amérique mettent en œuvre une stratégie de domination.

Alors qu’ils avaient professé un isolationnisme idéologique, les États-Unis d’Amérique ont fini par adopter une politique expansionniste vers l’Amérique latine. Au moyen de l’influence ou de l’ingérence, ils parviennent tant à contenir leurs ennemis extérieurs qu’à étendre la couverture de leur domination. De facto, leur maîtrise séculaire des flux maritimes et commerciaux par le canal de Panama en témoigne avec évidence. Pour autant, il serait erroné de croire que l’Amérique latine n’adopte aucune réaction face aux convoitises exprimées par leur voisin gringo. Ainsi, elle cherche à contenir le rôle des États-Unis d’Amérique dans ses affaires publiques au point de préférer se tourner vers des puissances extérieures au continent, non sans danger.

2. Ainsi, l’Amérique latine cherche à contenir le rôle des États-Unis d’Amérique dans ses affaires publiques au point de préférer se tourner vers des puissances extérieures au continent.

a. Contre cette stratégie d’influence et d’ingérence, l’Amérique latine oppose une résistance qui ne manque pas d’employer la violence.

Contre cette stratégie d’influence et d’ingérence, l’Amérique latine oppose une résistance qui ne manque pas d’employer la violence. Pénétrée des idées communistes diffusées par les pères de la Révolution comme Karl Marx (Le Manifeste du Parti communiste) ou Lénine (Que faire ?), l’Amérique latine connaît une forte attraction pour le phénomène révolutionnaire. C’est ce que démontre bien le cas de la révolution cubaine qui s’opère en 1959 à moins de 200 km des côtes de la Floride. Cette révolution victorieuse, menée par un petit groupe de combattants déterminés, suscite l’espoir des peuples latino-américains pour l’émancipation finale, selon Régis Debray, observateur participant à ce soulèvement populaire et auteur informé de Révolution dans la Révolution. Tout l’enjeu prioritaire des forces anti-impérialistes, qui dénoncent le capitalisme et l’expansionnisme des États-Unis d’Amérique, consiste donc à pouvoir exporter la révolution en Amérique latine en s’appuyant sur l’aura des commandants comme Fidel Castro ou Ernesto Che Guevara. Après tout, « comment ne pouvait-on pas admirer la lutte de Castro contre les troupes de Batista dans la Sierra Maestra ? » comme le relève, du reste, Bernard Kouchner en 2016. Promouvant la généralisation de la révolution par l’instillation de foyers révolutionnaires (théorie du foco), les opposants communistes se coalisent sous la supervision des troupes cubaines, aguerries et déterminées. Les guérillas marxistes s’initient dans les campagnes en Argentine ou en Bolivie sans toutefois obtenir les succès escomptés. Cette opposition armée à l’impérialisme de la part des États-Unis d’Amérique met en évidence les réactions violentes que suscitent tant d’influences et d’ingérences en Amérique latine.

b. Pour autant, l’Amérique latine tente aussi de s’autonomiser des États-Unis d’Amérique par des voies pacifiques sous l’action de puissances régionales qui visent une intégration latine.

Pour autant, l’Amérique latine tente aussi de s’autonomiser des États-Unis d’Amérique par des voies pacifiques sous l’action de puissances régionales qui visent une intégration latine. Cette tendance de long terme provient pour partie de la montée en charge du réformisme dans le jeu politique contre les forces réactionnaires soutenues par les gringos. Bienveillant avec la société civile et tolérant avec le mouvement syndical, le réformisme politique joue un rôle déterminant pour stimuler l’émergence de puissances régionales que sont le Brésil ou encore le Mexique. Fort de ses 8,5 millions de km² et de ses 200 millions d’habitants, le Brésil est la 9e puissance mondiale par son développement autocentré. Il cherche à déployer une économie diversifiée avec le secteur agricole, le secteur minier ou le secteur industriel, y compris dans l’aéronautique (Embraer). Soucieux de ne pas être trop dépendant des États-Unis d’Amérique, il diversifie ses partenaires commerciaux au sein du Cône Sud et en Europe. En outre, le Mexique, au territoire de 2 millions de km² pour 125 millions d’habitants, devient la 15e puissance mondiale en connaissant un véritable essor (2,5 % de croissance). En effet, son partenariat avec les États-Unis d’Amérique lui permet de développer tant son secteur industriel, avec 5 000 maquiladoras, que son secteur touristique, comme dans la péninsule du Yucatán. En outre, lorsque la géographie le permet, ces pays émergents optent pour la création d’unions régionales en vue de dynamiser leur insertion politique et commerciale. C’est ce que réalise la Colombie qui joue un rôle clef dans la mise en place de la Communauté andine des Nations (CAN) en 1969 ou le Brésil pour le marché commun du Mercado comum do Sul (MERCOSUR) en 1991. Stratégies de développement et institutions d’intégrations peuvent aussi être regardées comme des actes de distanciation envers l’emprise des États-Unis d’Amérique.

c. Dans cette perspective d’émancipation, l’Amérique latine continue de chercher des nouveaux partenaires politiques et économiques au-delà des frontières du continent américain.

Dans cette perspective d’émancipation, l’Amérique latine continue de chercher des nouveaux partenaires politiques et économiques au-delà des frontières du continent américain. Pour atténuer le poids des États-Unis d’Amérique, l’Union des républiques socialistes soviétiques semble un partenaire de choix dans le cadre de l’opposition bipolaire de la guerre froide, de 1947 à 1991. Cependant, outre qu’elle impose de s’inféoder à un modèle politico-économique qui n’est pas sans défaut, elle ne résiste pas non plus à la compétition duale lors de son effondrement progressif dès 1991. Ainsi, d’autres puissances mondiales adoptent une logique plus partenariale afin d’attirer l’Amérique latine, riche en ressources agricoles et naturelles. Fidèle à elle-même, l’Europe opte plutôt pour le « soft power »  au sens de Joseph Nye (Soft Power) avec les sommets politiques de l’organisation des États Ibéro-Américains dans la culture, l’éducation ou la technologie. Tandis que la Chine vise les anciens pays anti-impérialistes en offrant une réponse à leurs besoins urgents en infrastructures publiques ou en devises étrangères. Ainsi du partenariat esquissé en 2013 avec le Nicaragua, accord qui comporte un projet de canal interocéanique coûtant 50 milliards de dollars. Ce projet en cours se heurte tant à la question des revendications indigénistes qu’à celle de la préservation de l’eau douce du lac Nicaragua. Dans la même logique, le Venezuela a obtenu plus de 50 milliards de dollars en 10 ans contre du pétrole brut pour faire face à ses contraintes financières. En vue de s’émanciper de la tutelle potentielle des États-Unis d’Amérique, l’Amérique latine recherche des partenaires externes qui pourraient bien avoir des visées néocoloniales.

Face à la poussée expansionniste des États-Unis d’Amérique dans la sous-région, l’Amérique n’est en rien restée passive et immobile. Les inspirations révolutionnaires, les régimes communistes, les stratégies de développement autocentrées, les constructions d’intégrations régionales ou les alliances diplomatiques à l’étranger sont autant d’initiatives qui peuvent aussi être interprétées, au moins pour partie, comme des tentatives latino-américaines pour s’arracher à l’emprise des États-Unis d’Amérique. Par conséquent, malgré la persistance de leur pouvoir sur les nations latino-américaines, les interactions actuelles de ces deux sous-ensembles continentaux recherchent un équilibre qui puisse devenir mutuellement favorable.

3. Par conséquent, malgré la persistance du pouvoir des États-Unis d’Amérique sur les nations latino-américaines, leurs interactions actuelles recherchent un équilibre qui soit mutuellement favorable.

a. La présence durable des États-Unis d’Amérique met bien en évidence le rôle déterminant qu’ils continuent d’exercer en mobilisant tous les outils de la puissance.

La présence durable des États-Unis d’Amérique met bien en évidence le rôle déterminant qu’ils continuent d’exercer en mobilisant tous les outils de la puissance. Pour l’observateur informé qu’est Hubert Védrine, au terme du monde bipolaire, ils sont devenus « l’hyperpuissance » selon la formule de son ouvrage Face à l’hyperpuissance. Ce constat factuel réalisé à l’échelon international est lourd de conséquences à l’échelon continental. Car les États-Unis d’Amérique continuent d’adopter une combinaison proportionnée de « softpower » et de « hardpower » que l’administration démocrate de Barack Obama qualifie cette fois-ci de « smart power ». D’une part, en matière d’influence sur l’Amérique latine, ils diffusent leur modèle culturel par des chaînes télévisées par satellite à l’instar de CNN Latino ou des productions musicales à succès, comme le rap américain. Plus tangible encore, leur influence douce consiste aussi à construire des alliances diplomatiques avec des pays comme la Colombie dans le cadre du Plan Colombia de 2000 dont l’objet majeur est de lutter contre le trafic de drogues. Pour autant, ils n’abandonnent pas non plus les potentiels usages de la force ce dont témoignent leurs forces prépositionnées dans la région. Car il y a non moins de trois flottes imposantes, la IIe, la IIIe et la IVe, qui seraient prêtes à intervenir sur place en cas de conflit armé. Et, ils disposent aussi de bases militaires, dont Panama a été le point nodal jusqu’en 1999, sans compter les services de renseignement au Salvador, à Curaçao ou à Manta jusqu’en 2009. Cette présence à basse intensité montre que les États-Unis d’Amérique continuent de jouer un rôle décisif dans la géopolitique latino-américaine.

b. Cela étant, plus équilibrées et plus souples, les relations intra-américaines peuvent devenir bénéfiques, tant pour les États-Unis d’Amérique que pour l’Amérique latine.

Cela étant, plus équilibrées et plus souples, les relations intra-américaines peuvent devenir bénéfiques, tant pour les États-Unis d’Amérique que pour l’Amérique latine. En effet, elles pourraient apporter plus de profondeur stratégique aux États-Unis d’Amérique et plus de développement économique à l’Amérique latine. Ce d’autant plus que la conjoncture politique peut être favorable pour un rapprochement réel. En effet, la tendance actuelle en Amérique latine est à la normalisation des relations avec les gouvernements de gauche. C’est ce dont font état tant l’échec de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) dans les années 2010 que l’ouverture des relations avec Cuba, accélérée par le décès de Fidel Castro en 2016. Par conséquent, les conditions du développement économique apparaissent posées avec les succès des signatures de traités commerciaux vers l’Amérique latine. C’est du reste ce que tend à montrer la théorie économique en lutte contre le protectionnisme selon Bertil Ohlin dans Interregional and international trade publié en 1933. D’abord, le voisinage des États-Unis d’Amérique accède à davantage de libre-échange avec l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui inclut le Mexique depuis sa création en 1994. Ensuite, le libre-échange se déploie avec l’accord de libre-échange d’Amérique centrale (CAFTA) qui incorpore la zone Caraïbes et cinq pays de l’isthme de Tehuantepec. Ainsi, les États-Unis d’Amérique restent le premier débouché économique et commercial de la région ce qui permet au moins la constitution d’un tissu de sous-traitants et de fournisseurs locaux. Autrement dit, à condition qu’elles s’opèrent avec équilibre, les initiatives pour renforcer le commerce international dans la région sont une première étape vers des relations intra-américaines bénéfiques. Dans ce contexte, s’il existe une permanence de l’influence des États-Unis d’Amérique, celle-ci ne va pas sans rééquilibrage des relations économiques.

c. C’est ce qui explique que l’influence qui persiste entre les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine puisse être considérée comme devenant de plus en plus réciproque aujourd’hui.

C’est ce qui explique que l’influence qui persiste entre les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine puisse être considérée comme devenant de plus en plus réciproque aujourd’hui. Car les interactions entre ces deux pôles géopolitiques se sont bien intensifiées dans le cadre de la mondialisation des échanges. Par exemple, les échanges humains croissants permettent de le démontrer puisque le territoire des gringos accueille plus volontiers des latinos. Si leurs origines et leurs buts apparaissent multiples, les membres de la communauté latino sont en plein essor dans la société américaine : le hub de Miami se présente comme refuge des exilés politiques de Cuba, la Californie ouvre des opportunités aux migrants économiques du Mexique tandis que la ville de New York est visitée par des voyageurs du Brésil. Dans ce contexte de mise en acte de la circulation des personnes, le poids de la communauté latino devient prépondérant, y compris dans la politique des États-Unis d’Amérique. Selon les études récentes, cette communauté dynamique comprend plus de 55 millions de membres en 2017 dans tout le pays sachant qu’ils ne sont pas également répartis sur le territoire. Leur présence habituelle est concentrée sur les États du Sud. Par exemple, le seul État de la Californie compte plus de 15 millions de latinos, en majorité mexicains, dont certains sont entrés clandestinement en traversant la frontière avec le Mexique (linéa). Cette présence considérable explique aussi bien l’irruption nouvelle de figures politiques, issues de la communauté, comme Ted Cruz sénateur du Texas ou Marco Rubio sénateur de Floride, dont l’importance politique fait état d’une intégration supérieure. En outre, rien ne démontre mieux l’influence réciproque entre les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine que l’utilisation de la langue espagnole dans le secteur public et la vivacité de la culture latino au sein des États du Sud. Dans le contexte de mondialisation, l’Amérique latine exerce aussi une influence, perçue parfois, elle aussi, comme une ingérence, sur les États-Unis d’Amérique.

La répartition démographique entre les origines ethniques aux États-Unis d’Amérique entre 2015 et 2065

La répartition démographique entre les origines ethniques aux États-Unis d’Amérique entre 2015 et 2065

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Longtemps caractérisées par une domination asymétrique, les relations entre les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine sont en train de changer. Tandis que les États-Unis d’Amérique optent plus volontiers pour un « smart power », ils finissent aussi par considérer les puissances régionales comme leurs alliés potentiels. Et, en parallèle, avec l’abandon sa phraséologie révolutionnaire, l’Amérique latine conçoit l’intérêt économico-politique pour son développement qui réside dans l’alliance avec les États-Unis d’Amérique. C’est ce qui aurait donné à penser dans les années récentes que les relations entre les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine étaient en passe de devenir mutuellement profitables. Toutefois, en 2017, la prise de fonction du président Donald Trump laisse augurer un renouveau d’une diplomatie du conflit avec les pays d’Amérique latine. Se fondant sur un programme populiste promouvant notamment la lutte contre l’immigration clandestine, il cherche à renforcer la frontière avec le Mexique. Ainsi, la pérennisation du « mur » frontalier devrait être payée par le Mexique, ce à quoi se refuse le président Enrique Peña Nieto malgré la forte dépendance du commerce extérieur mexicain aux importations américaines (75 %). C’est donc à se demander si une page nouvelle est sur le point de s’écrire dans les relations passionnées entre les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine.

Matthieu Alfré